Après Jeannette, l'enfance de Jeanne D'Arc, Bruno Dumont poursuit, plus inspiré que jamais, son oeuvre tirée de l'adaptation des textes de la pièce lyrique Jeanne D'Arc écrite par Charles Péguy en 1897. Pour qui connaît un tant soit peu l'univers du réalisateur, sait à quoi s'attendre. Le lyrisme et la beauté simple qui émane de ses œuvres font de lui un metteur en scène singulier. Il s'agit toujours avec Bruno Dumont de se laisser aller par sa mise en scène, se laisser porter par la fragilité de ses personnages, acteurs souvent non professionnels, de se laisser enivrer par le rythme de ses dialogues. Et ensuite de ne faire qu'un avec ses idées incongrues transformant chacune des œuvres du réalisateur en une attraction expérimentale hors du commun.


Jeannette, investie d'une mission divine a grandi. Aujourd’hui, Jeanne conduit les armées de Charles VII sur les champs de bataille, prête à mourir pour la patrie. L'idée brillante est ici de garder l'actrice de 10 ans du film Jeannette pour incarner une figure historique qui avait alors entre 17 et 19 aux moments des événements du film. Ainsi, Lise Leplat Pruhomme porte avec assurance cette figure historique controversée. C'est lors de sa première scène seule que la comédienne et son personnage gagnent l’assistance. Jeanne est seule face au spectateur, le poids du monde sur les épaules. Le regard est profond et dur. Le plan est très lent, presque statique. C'est alors que des premières notes de musique électronique viennent épouser et soutenir ce regard empreint de force et d'une douce mélancolie. Dans les airs, la voix d'un homme fredonne le texte de Charles Péguy. C'est le chanteur et compositeur Christophe. La voix fragile et électrique du chanteur imprègne le regard de la comédienne pour former un tout d'une beauté si simple et si authentique à la fois que cela en est bouleversant. Le pari est réussi.


Christophe est le compositeur de l’intégralité de la bande originale du long-métrage. Ses sonorités et ses chants sont un personnage à part entière, s'exprimant avec et à travers Jeanne. L'un ne va pas sans l'autre, l'osmose est parfaite. La mise en scène joue son rôle onirique dans une narration à contre-courant au détour d'une bataille filmée tel un ballet ou d'un jugement divin sonnant le glas d'une guerrière en proie au doute. Jeanne est un film inventif qui jamais ne failli dans sa mise en images.


On pourra regretter deux choix du metteur en scène. Le premier est de ne pas avoir poussé certains acteurs non professionnels plus loin dans leurs retranchements. Bien que le naturel soit partie intégrante de l'oeuvre de Bruno Dumont, l'amateurisme peut parfois ruiner certains dialogues. Le deuxième choix regrettable est celui d'adapter l'intégralité des textes de Charles Péguy. De ce fait, certains aspects secondaires à l'histoire sont inutilement longs et parasitent quelque peu l'expérience. On se surprend à attendre la suite avec frustration pour ne pas gâcher la mélodie narrative qu'est ce bijou du cinéma français. Entre 10 et 15 minutes de trop sont à déplorer, sur un film qui, fort heureusement, fait 135 minutes.


Ces fausses notes impactent en réalité peu le film. D'une part, concernant les longueurs. On oublie rapidement ces dernières dès lors que le personnage de Jeanne et la musique réapparaissent pour illuminer les yeux et caresser les oreilles. D'autre part, concernant l'amateurisme. Là aussi on passe outre les quelques dissonances verbales tant les personnages principaux s'en sortent tous avec les honneurs, et même plus. Lise Leplat Prudhomme étant, sans mauvais jeu de mots, divine. Elle insuffle à Jeanne une force mentale et une fragilité déconcertante animée par la passion de Jeannette. C'est donc avec beaucoup d'émotion que se conclue une séance, avec mauvais jeu de mots, enflammée.


Jeanne est une oeuvre généreuse d'une mise en scène incomparable et d'une alchimie hallucinée entre l'image et le son. Lise Leplat Prudhomme hypnotise par son regard intense et soutenu et Christophe par sa voix douce et électrique. Un mélange des genres qui sublime le cinéma de Bruno Dumont pour en faire son oeuvre la plus accomplie à ce jour.

MassilNanouche
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le 10 sept. 2019

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Massil Nanouche

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