Du mauvais, du bon et une cerise sur le gâteau

Je commence par le mauvais, par ce que je n'ai pas aimé :

- Le scénario n'est pas assez travaillé ; le sujet, intéressant en lui-même, n'est qu'effleuré -(imaginons ce que Kubrick aurait fait de la vie de ce personnage, s'il n'avait préféré mettre en scène celle de Barry Lyndon).

- Il y a des personnages historiques qu'on n'identifie absolument pas (Pascal Greggory en duc d'Aiguillon) ou dont on se demande quel est leur rôle, ce qu'ils font là (Noémie Lvovsky en comtesse de Noailles ; qui sait qu'elle était la 1ère dame d'honneur de la dauphine Marie-Antoinette ?) ; d'autres sont complètement caricaturaux, notamment le duc de Choiseul, dont le film fait une vieille folle obèse, ou les filles du roi présentées comme d'épouvantables pestes.

- Tout ce qui précède la rencontre avec Louis XV m'a semblé plutôt foutraque, glauque et exagérément dévalorisant pour Jeanne du Barry ; était-il indispensable de la voir brutalement prise par derrière par ce vieux satyre de duc de Richelieu joué par un Pierre Richard, au demeurant méconnaissable mais qui, dans trois mois, entrera dans sa 90ème année ?

- Maïwenn ne ressemble pas du tout à la vraie Jeanne du Barry, dont on a plusieurs tableaux, et autres bustes (c'était une blonde aux yeux bleus ravissante, avec une toute petite bouche) ; elle avait 25-26 ans quand elle a rencontré le roi qui, lui, en avait près de 60. Maïwenn est encore très appétissante (malgré sa bouche pleine de dents) et ne manque pas de charme, mais elle en a plus de 45 et ça n'est pas, ou plus, une beauté à tomber, comme, par exemple (je remonte au déluge) Marina Vlady dans La Princesse de Clèves de Delannoy (et Cocteau).

- La scène où les filles du roi se moquent de Zamor, le "négrillon" (pardon de reprendre le terme utilisé par les 3 pestes) de Jeanne, est difficilement supportable, bien que ce soit volontairement caricatural. Elle est gratuite et facile.

- Très peu de scènes d'amour entre le roi et sa favorite, or il était très épris d'elle.

- Sûrement plein d'autres choses, mais qui ne me reviennent pas pour l'instant.

Venons-en au bon, en tout cas à ce que j'ai aimé :

- Johnny Depp fait un excellent et parfaitement crédible Louis XV. Très bonne idée (et culottée) de l'avoir choisi. L'acteur joue juste. On sent qu'il s'est documenté sur le personnage, sur son caractère et tempérament.

- Maïwenn est plutôt bonne en Jeanne du Barry, même si elle ne lui ressemble pas. Je trouve qu'on la sent amoureuse de Louis XV / Depp et... quel regard magnifique !

- Les filles du roi (dont India Hair), caricaturalement odieuses, sont relativement comiques et distrayantes (les comédiennes en faisant des tonnes) ; on pense aux méchantes demi-soeurs de Cendrillon et le rapprochement est sûrement voulu par la réalisatrice.

- Les décors sont, dans l'ensemble, magnifiques et bien filmés. Les costumes ne sont pas trop mal ; idem pour les coiffures. Cependant, ça manque peut-être quand même un peu d'opulence, de somptuosité, car le film est supposé recréer le Versailles du XVIIIème siècle, or on n'en prend jamais vraiment plein les yeux (comme dans certains films où on se dit : Bon sang, ce que c'est beau et chiadé !) .

- Tout le passage montrant le roi mourant de la "vérole" (c'est à dire : variole) et la favorite désolée et, là, lui manifestant clairement son amour malgré le risque de contagion, est réalisé avec tact, et j'ai trouvé ces minutes émouvantes et réussies.

- Les passages montrant la Cour, les courtisans, ducs et pairs, marquises, etc. sont (trop) rares, mais plutôt bons, avec une dimension comique, critique, fin de Régime, rappelant un peu, toutes proportions gardées, le climat régnant dans Le Bal des vampires de Polanski, ce qui n'est pas mal vu et relativement amusant.

- L'épilogue (survolant, en voix off et deux ou trois minutes, les 15 dernières années de l'ultime favorite de Louis XV) est également bien pensé et réalisé. J'ai aimé que le film ne s'attarde pas sur l'après-Louis XV, car le vrai sujet du métrage c'est Jeanne, le roi, la passion qu'il (le roi) éprouve pour elle (la fille du peuple, une "pute" de luxe), les sentiments qu'elle lui voue, et le "scandale" que cet amour qui dure (Jeanne devient la favorite officielle, comme l'était la marquise de Pompadour) suscite à la Cour de France, à une époque où la morale chrétienne est encore "toute" puissante, puisque monarchie et clergé sont étroitement liés et que quinze-vingt ans plus tard, ces deux pouvoirs (ces deux ordres : noblesse et clergé) seront balayés ensemble par la Révolution.

- Là aussi, j'oublie certainement plein de bonnes choses... dont le personnage du premier valet de chambre (et "entremetteur") du roi : La Borde joué par un très bon et humain Benjamin Lavernhe ; il sert d'intermédiaire entre Louis XV et Jeanne et a su gagner leur confiance et leur amitié. Il a le 3ème plus important rôle du film.

- Enfin, je cite en vedette américaine la brève apparition du sensible et talentueux Raphaël Quenard (vu récemment dans Chien de la casse) dans le rôle du grand chambellan annonçant depuis le balcon de la cour de Marbre : "Le roi est mort ! Vive le roi !". J'oublie d'autant moins de le citer que, cerise sur le gâteau, il était venu incognito à la projection (séance de 21 H 30). Je l'ai tout de suite reconnu (il est passé à un mètre de moi au début et à la fin de la projection) et je crois bien avoir été le seul à l'identifier dans la salle comme à l'écran.

Conclusion. Maïwenn s'est attaquée à un sujet nécessitant les qualités d'un GRAND réalisateur... qu'elle n'est pas (encore, en tout cas). Elle n'a pas, dans ce film, les moyens de son ambition. Elle n'est clairement pas Kubrick. N'empêche que son film n'est pas si mal, notamment au niveau du casting / interprétation, de la photographie et du montage ; le couple qu'elle forme avec Johnny Depp est quand même plutôt réussi et crédible, bien que l'écart d'âge entre les deux (23 ans) ne corresponde pas à la vérité historique (Louis XV avait 33 ans de plus que Mme du Barry).

P. S. Pour ceux qui l'ignorent, Louis XV est mort, à 64 ans, soudainement, frappé par la variole (à l'époque, quand on attrapait ce virus à plus de 40 ans, on n'en réchappait pas), alors qu'autrement, il était encore en assez bonne forme. Voici son dernier portrait, peint 3 ou 4 semaines avant son décès : File:Armand-Vincent_de_Montpetit,_Louis_XV,_roi_de_France_et_de_Navarre_(1774).jpg