En ces douces soirées de lune, tandis que les ténèbres m'invitent à entrer dans leur danse et à les rejoindre gaiement, il m'arrive de me sentir épuiser de ce ces moments de bonheur extatiques et dès lors il est un devoir certain pour moi que de souffrir afin de recouvrir mes forces...
Non, en fait, ce n'est pas du tout cela, mais comment mieux me justifier de m'être mis devant cette horreur, que dis-je, devant cette immondice, cette erreur de la nature, que de conter ces sottises? C'est, je dois l'avouer, la plus belle manière de regarder les faits, et c'est un bien plus merveilleux spectacle que celui de la réalité.


Je pense sans problème pouvoir vous régaler par la suite. C'est ainsi que je me retrouve attiré par le parfum méphitique de cette oeuvre. J'étais comme dans une envie des plus inexplicables de respirer toute la fange du monde par l'intermédiaire du derrière d'un être sale. Et cet être sale, c'est toi mon petit Bruno, mon Dumont d'amour. Tu sais combien j'aime être sous l'emprise de ta grâce, comment j'aime souffrir sous les coups répétés de tes œuvres, dont l'intensité redouble à chaque instant, tu n'es peut-être pas fait de cuir mais par la singulière violence des coups que tu me donnes je me vois obligé de te considérer comme un partenaire sexuel sadique de chaque instant. Et tu sais combien j'aime ça...


Non, pas du tout. Je n'aime pas ça du tout. Vous voyez, c'est bien ça le problème, on ne peut même pas pervertir la médiocrité en y trouvant un plaisir qui ne correspond pas à ce qu'elle est. La médiocrité pue et tu es impuissant face à l'odeur sale qui s'en dégage et qui recouvre tes narines, t'empêche de respirer. Tu ne peux même pas travailler ton esprit afin de lui faire dire qu'il aime ça, car tout compte fait, contrairement à un coup de fouet porté ou à l'odeur de la merde, la médiocrité est le Mal universel, tous le monde en est plus ou moins victime. Dans le cas présent, les victimes les plus sérieuses seront sans conteste ces bobos intellos qui, aveuglés par leur boboïsme des plus outranciers, en viendront à chanter les louanges de ce port-étendard des plus exemplaires de la médiocrité. Point d'inquiétude mes chers amis, un jour la rédemption sonnera à votre porte.


Bruno Dumont nous dit dans une interview que les hommes (et notamment au nom de Dieu) en viennent à commettre la paix et la guerre et à leur donner une intensité incommensurable, et que pour cette raison, il faudrait en finir avec tout cela (y compris donc la religion) pour retrouver la même intensité mais dans l'art. L'art apparaîtrait donc comme un échappatoire à la souffrance humaine, ce que je ne puis croire à la suite de ce visionnage, il y a de quoi souffrir plus intensément qu'un Martyr religieux, croyez-moi. Il est assez amusant de constater qu'avec son propre film, Bruno Dumont se fait un très mauvais avocat de sa pensée.


En fait, je crois que Dumont a un amour inconditionnel pour le néant, la relation qui les lie semblerait presque charnelle, plus encore que dans un livre de Cioran. Tout est là pour t'inviter à danser dans un chaos décérébré dans lequel le non-sens est tellement roi qu'il semble n'être le résultat d'aucun travail. Cet amour pour tout ce qui est naturel, comme nu face à la caméra me chagrine, tant naturel chez lui rime avec ennui, tant vérité pour lui ne fait que tonner avec le néant. Je puis dire assez aisément que ce qui m'ennuie parfois dans ce monde c'est l'incapacité des gens à être amusant d'une quelconque manière, et si les personnages de Bruno Dumont ici ne se cambrent pas toujours dans la normalité des plus ennuyeuses des hommes de ce bas-monde, ils n'en sont pas pour autant divertissants. A vrai dire, à vouloir ôter tout travail d'interprétation au profit du naturel de ses interprètes, les acteurs en deviennent médiocres, et ne trouvent pas non plus là une manière de s'émanciper en tant qu'être. Naturellement les hommes sont ennuyeux, et je pense que les hommes ont à trouver en l'interprétation un soi-même qui ne réside pas dans les réactions instantanées. Et c'est celui-là seul qui est intéressant. La médiocrité naturelle que vous défendez tant, et bien, elle ne me plais pas. Elle me révolte même.


On entend beaucoup parler de l'exigence formelle de Bruno Dumont. Je pense qu'elle doit tenir à un ciel bleu, très bleu, et à des paysages qui mettent en relief l'aspect naturel du monde, sous une vive lumière. Cela n'en reste pas moins laid. Oui, j'ai dis laid, prenez bien le soin de pointer mon hérésie du doigt, je vous pointerait dans le même temps ce Jeannette comme une hérésie au cinéma, une marque d’irrévérence des plus totale à l'art. Je ne vois rien de particulier à ces images; elles sont médiocres, et elles ancrent l'oeuvre qu'elles servent dans cette médiocrité.


Je ne saurais que dire face à la géhenne que me provoque ce film: est-ce là la victoire du Mal? Les hommes entièrement sous l'emprise de tourments perpétuels causés par de telles œuvres, qu'ils applaudissent même? Cette vision est bien affreuse, l'image la plus symbolique serait un monde qui s'effondre, gouverné par ces œuvres délétères.
Pardonnez-moi cette exagération volontaire, mais plus sérieusement, fort est de constater que s'il s'agit de tout abandonner pour ce genre d’œuvres, je refuse catégoriquement.


Surtout que le regard de Bruno Dumont, pardonnez mon mon manque de considération pour ce ô grand génie, me parait quelque peu simpliste. Certes, qu'on pourrait considérer comme absolu et jusqu'au boutiste. Reste que j'ai du mal à voir en le chaos et les multiples contradictions d'un être au travers d'un regard ironique la réponse universelle. J'ai aussi tendance à penser que tout abandonner sous prétexte que tout peut apporter la paix ou la guerre, et donc amener la souffrance sur le terrain, c'est manquer sérieusement d'audace, c'est décider de ne s'ouvrir à rien, de demeurer dans le néant, du simple fait qu'on n'y trouvera souffrance. Et qu'on ne me fasse pas dire que l'art, comme intensification de l'instant, y est un échappatoire quand on voit cette oeuvre. En regardant des films, on se met également en danger.


Bruno Dumont reste pour moi un mystère, au vu de la considération qu'on lui porte. Ce n'est pas le premier film que je vois de lui et qui ne sait me satisfaire, loin de là. Je pense à celui qu'il avait fait juste avant, Ma Loute, que pouvait-on réellement en retenir si ce n'est une critique sociale peu subtile au travers d'un homme du peuple qui transporte les personnes riches pour que celles-ci traversent la rivière? Bruno Dumont peut bien revendiquer faire des films socialistes, je n'y vois personnellement qu'une apologie du néant.

Jack_P_
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le 1 sept. 2017

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Jack_P_

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