On reconnait à juste titre la capacité des auteurs américains (en littérature comme au cinéma) à raconter une histoire. À cet égard, le réalisateur français Arnaud Desplechin a parfaitement réussi son incursion sur le territoire des États-Unis. En effet, il sait rendre à la fois limpide et palpitante la rencontre, juste après la fin de la Seconde Guerre mondiale, entre Jimmy Picard, un Indien Blackfoot qui a combattu en France et présente des séquelles (maux de tête, rêves) qui lui valent d’être admis dans un hôpital militaire du Kansas et Georges Devereux, un ethnologue et psychanalyste connaisseur des mœurs amérindiennes appelé à la rescousse lorsqu’il ne fait plus de doutes que les troubles de Jimmy Picard sont d’ordre psychotique.

Ce qui va advenir entre les deux hommes se situe au-delà de la simple relation entre patient et thérapeute. Derrière la confiance indispensable, les longues conversations qui permettent à Georges Devereux de révéler les blessures de l’âme tourmentée de son unique patient font naitre une estime mutuelle qui débouche sur une complicité et une amitié grandissantes. Échangeant en anglais, une tierce langue pour l’Indien et surtout le médecin européen, ils apparaissent comme des étrangers au sein de la communauté de l’établissement où Jimmy Picard doit séjourner. À force d’entretiens et de tests, le praticien parvient à percer la carapace de son patient et à lui inculquer la prise en main de son destin, en résolvant les traumas de son rapport aux femmes (mère, sœur, épouses) auxquelles il craint compulsivement d’infliger déceptions ou douleurs. L’universaliste Devereux qui accepte de soigner Picard, non par une culpabilité d’une nation face au génocide qu’il n’a pas à éprouver, mais simplement parce qu’il se sent en mesure de lui apporter son aide, doit lui-même composer avec ses origines juives hongroises. Entièrement préoccupé du sort de Jimmy Picard, dont il consigne avec application les déclarations sans jamais porter de jugement moral, l’analyste ravi et hilare d’exercer son métier de façon aussi bénéfique voit son séjour au Kansas agrémenté par la visite de sa maitresse.

Il n’est qu’à se rappeler Rois et Reine (2004) pour savoir le lien étroit qu’entretient le cinéaste avec la psychanalyse. À l’époque, le comédien Mathieu Amalric, véritable alter ego de Desplechin, interprétait le rôle du fantasque et déprimé Ismaël Vuillard, alors qu’à présent il passe en quelque sorte de l’autre côté en jouant le médecin écoutant face à Benicio Del Toro, très convaincant dans la composition d’un homme qui souffre et cherche les causes et les remèdes à sa maladie. Celui qui a abordé les thématiques des névroses familiales, du deuil, des questions de couple et de filiation dans des œuvres profuses et kaléidoscopiques, entremêlant plusieurs destinées, atteint avec Jimmy P. (Psychothérapie d’un Indien des Plaines) à une maturité qui insuffle limpidité, clarté de la ligne et apaisement à son cinéma. En dépit de la violence du témoignage de Jimmy Picard qui caractérise une existence marquée par la mort et les séparations, le ton n’est jamais à l’excès ou à l’irrationnel, tout juste le patient noie-t-il ses souffrances insupportables dans l’alcool.

Plus modeste et intimiste que A Dangerous Method de David Cronenberg (2011), mais aussi tellement plus ample et lumineux, le film de Desplechin tire pareillement sa force du texte et de l’intensité des propos tenus entre les deux hommes. N’empêche, il scrute avec délicatesse et de manière aussi proche qu’empathique les blessures invisibles, parce qu’intérieures, d’un Indien des Plaines en costume cravate.
PatrickBraganti
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le 17 sept. 2013

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