La sortie courant mai dans les salles françaises de JOHN FROM résonne comme ces musiques ou ces festivals qui annoncent les couleurs de l’été. Baignée dans un soleil méditerranéen de saudade, cette « carte postale » adolescente voyage depuis un seul quartier de la banlieue de Lisbonne à la Mélanésie et nous envoie des nouvelles du Portugal, ce pays duquel naît parmi les films d’Europe les plus incarnés.


Deuxième long-métrage de João Nicolau, après L’épée et la rose, une aventure lisboète qui rêvait déjà d’exil romanesque, JOHN FROM déborde d’un charme dont l’efficacité vient de l’économie et de la simplicité de ses moyens, autant qu’à l’authenticité gracieuse de ses deux jeunes comédiennes (Júlia Palha dans le rôle de Rita et Clara Riedenstein dans le rôle de Sara). Faisant la part belle à l’esprit d’escalier (cher à Raul Ruiz), aux inventions formelles de carnaval et aux instants intimes entre quatre murs, la mise en scène emploie le minimum pour dresser un récit d’échappée. L’alchimie de JOHN FROM se trouve entre « film de chambre » et récit de voyage. La sobriété dans l’écriture permet de ne jamais surexposer les personnages, de les rendre à leur pleine fragilité pour qu’ils en ressortent d’autant plus naturels.


PHOTO : l'ennui...


Rita, jeune adolescente désœuvrée pendant ses vacances d’été, est prise entre l’ennui à tuer et de petits rituels avec sa meilleure amie. Au milieu de sa routine estivale, brièvement rompue par un séjour en vacances avec ses parents, elle s’éprend de son voisin Filipe, père vivant seul avec sa fille en bas âge et photographe voyageur. Par amour pour lui, elle va se passionner pour la Mélanésie à laquelle il consacre une exposition dans la M.J.C. du quartier.


À partir d’un récit aux enjeux éculés (la jeune fille réussira-t-elle à avouer sa passion et emportera-t-elle l’amour de celui qu’elle désire ?), Nicolau réussit à traduire dans le même temps la saveur évanescente de l‘adolescence en plein été et un récit aux ressorts fantastiques composé d’aventures pittoresques.



« Faisant la part belle à l’esprit d’escalier (cher à Raul Ruiz), aux inventions formelles de carnaval et aux instants intimes entre quatre murs, la mise en scène emploie le minimum pour dresser un récit d’échappée. »



« Pudique et ludique » comme aime à le définir son auteur, le film concilie ces deux qualités. La pudeur tient à la maladresse et à la frivolité de deux jeunes filles. Leur candeur quand elles se balancent sur du reggae, leur badinerie quand elles se laissent des mots dans le renfoncement de l’ascenseur, leur manière de se coiffer nonchalamment et la façon dont tout cela est filmé comme si nous étions avec elle, sans jugement, sans exagération, participent à la pudeur de l’ensemble. La pudeur de l’œuvre tient aussi à son versant documentaire.


PHOTO : John From ailleurs


La nature ludique tient elle à son versant fictionnel. La réunion de copropriétaires interrompue par l’invasion d’un nuage de fumée dans tout le quartier, et la façon dont les lumières viennent plonger les rues dans des nappes de jaunes safran ou de rouge vermillon témoigne simplement de l’incursion placide de la fiction dans le réel. La construction du montage, cosigné Alessandro Comodin (réalisateur du très bel Été de Giacomo), prend part également à la part ludique du film. Ses répétitions (de gestes, de petits jeux entre amies, de musiques, de techniques d’approche) composent le film en tour de piste, échelonné d’étapes fréquentes. Les mêmes lieux, les musiques harmoniques, les gestes répétés ou empêchés produisent cette atmosphère de litanies profanes et d’ennui doux dans lesquels évoluent Rita et Clara. Une des grandes qualités du film est déjà de ne pas laisser déborder cet ennui. Autrement dit, pour un spectateur sensible à la séduction de la torpeur et à l’apathie toute estivale, la mélancolie qu’essaient de tuer les deux jeunes filles se métamorphose en joyeux feu de camp, en phantasme amusant.


Du Portugal, João Nicolau nous donne des nouvelles irradiées par le soleil, mis sous perfusion d'un cinéma savoureusement rejoué en petite théâtre en carton. Accompagné par deux nymphettes en T-shirt, symboles normcores de classe moyenne, ce Lisbonne lymphatique exprime malgré tout sa vigueur à travers les soins hypnotiques de la lumière, du montage et de la musique.


Par Flavien, pour Le Blog du Cinéma

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le 3 juin 2016

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