Johnny alité
Bon, d'accord, c'est un film culte. Pourquoi ? Parce que c'est le seul film de Dalton Trumbo ? On aime bien les films uniques. Parce que c'est l'adaptation d'un roman censuré ? Parce que c'est Dalton...
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le 4 avr. 2014
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« Johnny s’en va-t-en guerre » ou « Johnny got his gun » en version originale est l’unique film de son réalisateur Dalton Trumbo, scénariste légendaire de l’histoire d’Hollywood à l’origine des plus grands chefs-d ’œuvres du cinéma comme Spartacus de Stanley Kubrick ou Exodus d’Otto Preminger. Victime du Maccarthysme et de la tristement célèbre chasse aux sorcières, il se voit interdit de travailler dans l’industrie du cinéma et est même emprisonné pendant un an, mais continuera à scénariser sous nom d’emprunt les films les plus cultes du cinéma hollywoodien. Ce film, sorti en 1971 en pleine guerre du Vietnam, est une adaptation du roman du même nom paru en 1939 écrit par Trumbo lui-même. Si le titre peut rappeler une célèbre comptine pour enfant « Malbrough s’en va-t-en guerre », le propos comme l’ambiance du film sont bien plus pesants, créant au travers de l’image une atmosphère oppressante dont il est difficile de sortir indemne. Le film propose alors une critique d’une triste violence de la guerre et de l’absurdité de ses enjeux.
Joe Bonham est un jeune homme à qui la vie semble sourire, il a une belle petite amie et la vie devant lui. Quand la Première Guerre mondiale éclate, il part au front mais en revient grièvement blessé, ayant perdu ses jambes, ses bras, son visage et l’utilisation de ses cinq sens ; il peut juste ressentir quand on le touche. Les médecins s’occupant de lui après-guerre le considèrent rapidement en état de mort cérébrale, incapable de penser ou de ressentir quoi que ce soit. Mais Joe pense et surtout souffre, retraçant sur son lit la vie à laquelle il ne pourra plus jamais gouter.
Le parti esthétique fort du film est de séparer deux temporalités au travers du jeu des couleurs, le présent est en noir et blanc tandis que le passé vu au travers des pensées de Johnny est en couleur. On voit alors toute la douleur de Joe, se remémorant avec une triste mélancolie ces moments de vie épargnés par la guerre avec sa fiancée, mais aussi ses songes quand il sombre dans la folie et la solitude. Si Joe vit encore et voit les choses en couleurs, la camera ne montre qu’une réalité sombre et triste, Joe ne pourra plus jamais vivre comme il se l’imagine et cette chambre est pour lui son purgatoire. Le film joue beaucoup sur cette ironie dramatique dans l’expression de l’horreur vécue par Joe. Procédé très bien exécuté notamment lorsque le spectateur au courant du fait que Joe ait perdu ses bras et ses jambes découvre que celui-ci pense que ce sont les médecins qui les lui ont coupés. Joe n’est pas d’emblée conscient de sa situation et cette lueur d’espoir que Joe ne cesse jamais d’entretenir et que le film « s’amuse » à éteindre, constitue toute la force de « Johnny got his gun » mais également toute son horreur. La guerre prend tout et ne rend rien. Ce jeu de contraste se poursuit au niveau de la symbolique du lit de Joe passant d’un lit d’amoureux dans son passé, le drap couvrant son corps et celui de sa fiancée, à un drap couvrant le tronc qui lui fait office de corps sur un lit d’hôpital. Le bonheur se transforme en terreur, la couleur se transforme en noir et blanc, le drap se transforme en linceul et Joe ne vit plus que grâce aux instruments auxquels il est branché. Si Malbrough revient à Pâques, Joe reviendra quant à lui à la Trinité.
Tandis que Joe voit défiler sa vie dans sa tête, sa volonté initiale d’être montré au reste du monde pour voir l’horreur de la guerre se transforme rapidement en une résignation à la mort. On se voit alors forcé dans un acte malsain de voyeurisme à observer un homme souhaitant en finir mais qui n’a pourtant aucun moyen de le manifester. Le film parvient ainsi à créer une ambiance d’une intensité et d’une force difficile à supporter de par ces plans fixes déshumanisants sur ce drap et sur ce que l’on devine être le reste d’un corps humain, accompagnés par les longues complaintes d’un homme résigné à mourir. L’alternance entre couleur et noir et blanc renforçant d’autant plus la détresse de Joe et la compassion du spectateur qui voit et ressent ce que lui ne pourra plus jamais voir ni ressentir. Reste la douleur et la solitude, reste de rares éclats de vie quand une infirmière qui a compris qu’il était encore lucide, le touche, le caresse. Le toucher, le pire des sens.
Joe est en fait l’incarnation d’une conscience sans corps, un pur « cogito » souffrant et désirant mais ne parvenant plus à être, l’horreur d’une conscience vive et privée du monde, définitivement emmurée. Mort-vivant.
Si le propos semble déjà suffisamment pesant, la fin illustre selon moi de manière magistrale l’horreur de la situation et fait passer ce film d’un film lambda dénonçant les horreurs de la guerre à un véritable chef-d’œuvre capable de faire flancher le plus hermétique des spectateurs.
Alors que Joe est finalement parvenu à se manifester au monde extérieur, il exprime sa volonté de mourir en morse en agitant sa tête sur son oreiller « SOS, Help me… SOS, Help me... » répète-t-il. Joe croyant ses souffrances bientôt terminée se voit infliger la pire des tortures, il est abandonné vivant dans un placard à l’abri des regards. Il vit mais c’est pourtant là son plus profond cauchemar. Ce corps recouvert d’un drap, répétant en boucle les trois mêmes mots, est un coup de massue et se révèle être d’une violence qu’aucune bataille, aussi meurtrière soit-elle, ne peut égaler. C’est par un simple travelling arrière et un silence à glacer le sang que se conclut une des œuvres les plus inclassables du cinéma hollywoodien. Ce silence, c’est la nouvelle vie de Joe Bonham et ce plan nous invite à partager l’histoire d’une dizaine de secondes ce qu’il devra supporter des années durant.
Si ce film aborde un thème classique du cinéma et est une critique ouverte de l’absurdité de la guerre, c’est bien par sa forme que ce film dénote d’un Apocalypse Now ou d’un Full Metal Jacket. Ce n’est pas par l’horreur de la mutilation du corps de Joe, qui n’est en effet jamais montré à l’image, que le message antimilitariste est délivré, mais par une certaine forme de pudeur, une étrange légèreté, le spectateur ne ressentant le cauchemar vécu par Joe uniquement par l’ironie entre ses pensées en couleurs et la réalité. Le film ne montre pas l’horreur de la guerre à travers le récit d’une bataille grandiloquente mais par le descriptif de la psyché du soldat de base, du troufion de base si je puis me permettre, Joe Bonham n’est personne et est tout le monde à la fois, il est l’image parfait du soldat inconnu, il est un symbole.
Si ce film sort pendant la guerre du Vietnam pour dénoncer ce conflit qui divise violemment la société américaine, « Johnny s’en va-t-en guerre » a tout d’un film intemporel. Thématique du temps d’ailleurs essentiel tout au long du film, le temps étant le seul repère auquel Joe peut essayer de s’attacher, en vain. Malgré l’adaptation d’un livre écrit au début de la Seconde Guerre mondiale, le film reste aujourd’hui encore d’une force et d’une pertinence inégalée et est un hymne humaniste et anti belliciste dont le message perdure à travers les âges.
Créée
le 29 avr. 2021
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Un film si bien réalisé que je ne pourrai plus jamais le revoir. Il m'a tout bonnement traumatisée. Certes, les plans ne sont pas les meilleurs. Mais il y a quelque chose dans Johnny Got His Gun qui...
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