Dans la gamme de mon-perso-principal-est-un-nazi-de-10-ans-ayant-Hitler-pour-ami-imaginaireMajeur, sa relative mineure : mon-arène-reste-le-troisième-reich peine à exister...


Le premier souci qui m'apparait est le traitement du personnage principal.
Il y a quelque chose d'extrêmement intéressant et de profondément pertinent à l'idée de choisir le point de vue d'un jeune garçon de 10 ans endoctriné par tout ce qu'on lui sert et totalement fanatique dès son plus jeune âge. Cela offrait une montagne de possibilités quant à l'évolution de ce personnage. Ajouté à cela sa rencontre avec une jeune juive cachée par sa mère (donc cachée par un personnage qu'il ne peut juger comme étant l'ennemi, ce qui va forcément lui apporter un premier questionnement, une première remise en question) et vous aviez un concept dont les possibilité dramatiques étaient quasi-inépuisables.
Hélas, pas d'évolution pour JoJo... En effet, il n'a jamais été nazi. Il n'a jamais partagé les idées de son führer, il ne les a même jamais comprises. Comme le lui dit Elsa : il n'est qu'un enfant qui aime les croix gammées et porter l'uniforme. Il refuse même de tuer un innocent petit lapin lorsque les grands nazillons le lui ordonnent...
On a donc un personnage sans redemption nécessaire et dont le parcours va simplement aider à comprendre les choses et à se défaire de son aveugle fanatisme (mais pas totalement, ou alors il faudra me montrer le moment ou il accepte les juifs comme n'étant pas que des monstres avec cornes et reine pondeuse).
Malgré ce faible développement, le personnage de JoJo reste très attachant et nous est vendu, dès la bande-annonce, comme un jeune garçon un peu lunaire et qui va surtout subir les évènements qui l'entourent plutôt que les provoquer.


Mais selon moi, le vrai souci de ce film est son ton...


Le ton en fait très clairement un film comique. Un film comique déjanté prenant place dans une arène très sombre et une période bien noire du siècle dernier mais, étrangement, sans jamais toucher l'humour noir.
Dès le début et les 12.000 "Heil Hitler" je me suis dit que ce serait un film à ne pas mettre entre toutes les mains tant on allait tourner autour des us et coutumes nazis, d'un point de vue nazi, mais tout en les piétinant. Or, il me semble bien que c'est dans les répétitions de ce salut que se trouvent les blagues les plus osées...


Ce ton donné anesthésie totalement l'émotion qui aurait pu émaner d'un tel sujet et d'un tel concept...


Quand JoJo découvre sa mère pendue, et qu'il enlace ses pieds, j'ai bien mis 2 minutes à accepter la mort du personnage. Je m'attendais à une chute. A ce que JoJo relève la tête et s'aperçoive qu'il enlaçait les pieds de quelqu'un d'autre ayant simplement les mêmes chaussures que sa mère et repousserait le tout dans un air dégoûté.
Le ton apporté au film ne laissait aucunement envisager la mort ou la disparition d'un des personnages principaux tant il restait bon enfant et comique.
Cependant, mise à part, cette scène révèle de grandes qualités de mise en scène : On suit JoJo qui suit lui-même un papillon parce qu'il le trouve beau. A priori, c'est la première chose par laquelle il est attiré de manière arbitraire et volontaire. On le suit jusqu'à retrouver JoJo au pied d'un échafaud pour le voir relever la tête sur sa défunte mère se balançant. Le plan est beau puisque les chaussures, qui sont les seules choses que l'on verra du corps inanimé de la mère, nous étaient déjà apparues plusieurs fois en gros plan durant des séquences joyeuses et dansantes entre JoJo et sa mère.
Appliquée à ce scenario, cette scène m'a juste déçu par l'absence de son humour, qui était la chose la plus évidente à attendre compte tenu du décalage opéré jusque là. Et je suis donc passé tout à fait au-dessus de l'émotion...


Ce ton anesthésie également le danger potentiel que risque une famille à cacher une jeune juive en plein coeur de l'Allemagne Nazie (était-ce Berlin ?? Ou peut être Bayeux vu la présence de drapeaux américains à la libération...)
Il manque un second point de vue. Le scénario aurait grandement gagné à opposer la vision enfantine et fanatique de JoJo à un point de vue réaliste, dans lequel le risque serait présent. Dans lequel les Nazis ne seraient pas représentés par un Théon Greyjoy gay, drôle et risible par ses manières très efféminées, et attiré par un Sam Rockwell (qui nous gratifie d'une tenue d'officier que même Elton John n'aurait pas porté si elle lui avait été imposée par Churchill) qui reprend ici son rôle de Three Bilboards.
Le danger et le risque n'est pas assez présent et les rares vilains présentés sont bien trop bêtes et paraissent autant effrayants qu'une horde de chatons dont la force se trouverait seulement dans le nombre et l'appétit (chose qui n'est pas totalement dénuée de pertinence ou de réalisme mais trop peu développée).


Au-delà de tous ces points, il y a aussi trop d'incohérences à accepter :
- Sam Rockwell et Rebel Wilson sont les deux seuls et uniques officiers nazis.
- Rebel Wilson est donc assistante, masseuse, animatrice etc...
- La jeune Elsa semble très maligne mais trouve plus intelligent de se faire passer pour la fille (décédée) de la personne recherchée (donc enquêtée) auprès de la Gestapo plutôt que de rester dans sa cachette. (Ici se présente un autre problème du film : Tous les nazis profonds sont bêtes et méchants sans nuances, et les autres sont intelligents. JoJo étant bête et fanatique au début fini par philosopher sur l'amour)
- Le copain de JoJo, Yorki, qui semble n'avoir jamais quitté leur ville (Bayeux ???) mais qui saute dans les bras de son copain comme s'ils ne s'étaient pas vus depuis des mois et des mois. (d'ailleurs, à la fin du film, on apprend qu'il ne s'est même pas passé une année depuis le début du récit. Entre le moment ou JoJo se mange une grenade à bout portant, sa convalescence, sa rencontre avec la jeune Elsa, leur apprivoisement etc...)
- La Gestapo ridicule qui abandonne ses recherches parce qu'heureuse et comblée d'avoir lu les aventures artisanales de Martine et Klaus Barbie (on soulève ici un autre gros problème actuel d'Hollywood : l'absence d'antagoniste... La peur est aujourd'hui au manichéisme et les community manag... les scénaristes pardon, d'aujourd'hui ne semblent pas comprendre qu'un personnage peut être profondément méchant sans être manichéen. Ce qui fait que depuis quelques années on ne se retrouve qu'avec des méchants-mais-pas-trop ou alors méchants-mais-oui-mais-c'est-pas-de-sa-faute. Ici, paradoxalement à ce qui vient d'être énoncé, et comme il n'y a pas d'antagoniste, on nous présente les méchants de la manière la moins nuancée possible. On justifie l'absence d'écriture de personnages par le décalage du film.)
- Etc etc...


Pour conclure, la déception de ce film se tient surtout par rapport à son high concept, dont les possibilités étaient grandioses et sans limites, qui n'est que trop peu développé. C'est à se demander si Taika Waititi, dont les qualités et le talent sont évidents, n'a pas perdu son concept en chemin...


On ne lui retirera pas une mise en scène soignée (la comparaison avec Wes Anderson se fait sur cette critique également, meme si Wes sait mettre la pertinence de son propos au service de sa mise en scène, et vice versa), un humour majoritairement payant, de bons comédiens très biens dirigés (Scarlett sort vraiment du lot, pour son petit nombre de scène), et surtout un concept géniale mais dont l'application ne lui rend malheureusement pas hommage...


"C'était un film mignon."

mannycorle
5
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Créée

le 6 févr. 2020

Critique lue 583 fois

mannycorle

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