Jo se tenait debout bien droit, un peu comme un I isolé au beau milieu d'une phrase, un oubli, une erreur non rectifiée d'un écrivain peu scrupuleux. Les platanes au long des murs d'enceinte de la vaste cour semblaient des promeneurs égarés dont le feuillage à la manière d'un couvre-chef insolite captait les rayons du Soleil mourant. De place en place des flaques de feuilles rouges et jaunes parfois mordorées s'étalaient, parsemaient le sol confirmant ainsi l'agonie d'une saison. Les quelques personnes présentes fixaient avec sérieux et gravité ce I qui conservait cet espèce de sourire énigmatique amusant pour les uns, déplaisant voire répugnant pour la plupart. Bien sur Jo ne quittait pas des yeux cette belle mécanique plantée en face de lui qui le dominait et l'écrasait de son ombre. Il inspira calmement avec une amplitude calculée, raisonnée. L'air était frais et empreint d'un parfum balsamique évoquant celui d'un baume protecteur. Quand il déplaçait légèrement la tête sur le côté un rayon de Soleil venait baigner son visage à la façon d'un projecteur de cinéma. Un homme gris au chapeau ridicule lui demanda s'il voulait fumer. Il accepta. Un second tout aussi grisâtre tendit un briquet. Négligemment puis avec désinvolture et grâce, il porta la cigarette à sa bouche, tira une longue bouffée et s'exclama d'une voix forte et claire.
- Aujourd'hui quelqu'un va mourir ! Cela aura-t-il du sens ? Qui peut le dire ?
Alors son rire retentit comme un torrent dévale une pente en rebondissant parmi les rochers s'accentuant ou s'adoucissant au contact du relief. Il fut pris de spasmes, toussa puis comme par magie revint au calme. Personne ne mouftait. Il ferma les yeux, les flashs affluèrent, images de sang, de mort, de détresse, de misère et toutes moulées dans l'indifférence, le mépris et le rejet. Ces images l'avaient conduit ici en cet fin d'après midi : en face de la bascule à Charlot !
Tranquillement il termina sa cigarette tout en fredonnant un vieil air de music-hall et en esquissant de légers pas de danse, jouant avec les volutes de fumée diaphane qui l'entouraient.
Les deux gardiens le tournèrent ensuite vers les notables. Son regard se planta dans les yeux du Juge, le digne représentant de l'ordre établi. D'une voix de stentor le censeur déclama :
- Vous avez gravement attenté à la sureté de l'état protecteur en vous érigeant symbole d'une révolution. Vous allez donc être, conformément aux lois en vigueur décapité...Messieurs...
Le bourreau s'avança et allongea Jo sous le couperet. Son sourire insolent ne désarmait pas s'affichant lourdement comme une révolte incontrolable. Un éclat de lumière faisait briller la lame qui chuta brusquement vers le cou du supplicié.
Le rire monta alors à nouveau, un rire saccadé et caverneux, le rire d'un dément, sur sa planche le corps se tordait de rire et tous les regards convergèrent vers la tête du juge qui glissa de son torse roula au bas des marches de l'estrade et s'arrêta les yeux plantés dans le Soleil.