Comment jouir de ce film si on a pas le malheur d'être ce Nanni Moretti (ou son ombre ou son chien)?

Moretti apparaît comme un bon exemplaire de faux exubérant et faux spontané simplement trivial et gavé de lui-même – un péteux ronflant avide d'attention et de reconnaissance. Ses apparitions illustrent à merveille (mais avec nonchalance) les sujets d'une gauche snob, cosmopolite (ici nantie mais ce critère est facultatif), sur-jouant l'enthousiasme naturel et la réceptivité aux nouvelles valeurs – le tout sans omettre de donner des leçons dès que l'occasion se présente. Lorsqu'on le suit traversant Rome en vespa, c'est encore vaguement agréable ou 'amusant' pour qui consent. Puis on s'enfonce gravement dès que des distances sont prises avec la ville. Les simagrées des acolytes atteignent des proportions grotesques sans doper un climat d'une platitude si nette qu'elle pourrait donner l'illusion de l'étrange aux défenseurs acharnés – c'est que dépouiller à ce point l'espace, la vie et les gens, afin de mettre en scène son petit numéro, produit son effet (on l'appellerait 'nanardesque' dans des circonstances non-auteurisantes).


Le dernier acte centré sur la maladie de monsieur achève d'ennuyer mais arrive à consterner. L'exhibition y devient frontale et la présence dans le champ est encore plus soutenue (le maximum était pourtant déjà proche). Décidément Nanni Moretti n'en a jamais assez, il lui faut tout absorber jusqu'au-bout, tout remplacer ; les choses ne pouvaient avoir de sens sans lui ou hors de lui, maintenant c'est tout juste si elles peuvent figurer – et comme lui est si rempli et probablement pertinent par sa simple existence, il n'a bientôt plus qu'à bavasser sur des médiocrités, régler ses petits comptes médicamenteux, comme s'il y avait là-dedans quelque chose de secrètement puissant. L'emblème du défi est donc un être humain – digne et responsable, son nom est Nanni Moretti. Qu'un tel film soit célébré et même adoré est pour moi un mystère – qu'a-t-il en lui-même pour le justifier (donc en mettant de côté les attachements particuliers aux endroits visités ou à la personnalité)  ? Manifestement Moretti flatte une fibre, émeut ou semble familier à beaucoup – sans doute des éducateurs progressistes psychorigides, de doux aventuriers et autres citoyens ou subversifs éthérés.


Aucun égarement tellement vain ne profite d'une telle indulgence, à ma connaissance. Le malaisant Jour et la nuit de BHL a le mérite de l'excentricité et 'd'y aller' – il est aussi rachitique et sûrement plus maladroit, mais au moins l'intention et l'ego sont gonflés à bloc, alors qu'ici la satisfaction et le flegme feint ont gagné et ne tolèrent pas une miette contradictoire. Même la jolie BO est gâchée par le collage et démoulage excessifs, tandis que la balade à Stromboli peut trouver mille concurrentes plus qualitatives. C'est encore sans évoquer l'humour atterrant et cette bouffée d'expressivité politisée où un balourd burlesque fuit les îles Eoliennes pour retrouver sa société de consommation chérie (il est comme Berlusconi, pourri et n'a rien compris !).


https://zogarok.wordpress.com

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le 18 janv. 2019

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Zogarok

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