Morceaux de vie
Journal intime, sorti en 1993, est une des réalisations les plus attachantes de Nanni Moretti. Un triptyque où le réalisateur italien joue son propre rôle. Le premier chapitre, En vespa, consiste en...
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le 12 oct. 2022
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Film réalisé dans une Italie du début des années 1990, Journal intime de Nanni Moretti est, comme son titre le suggère, la réalisation la plus personnelle de ce dernier. Nanni Moretti dresse ici son autoportrait dans un triptyque comique, avec une vision satirique de la société italienne où il n’épargne personne et surtout pas lui-même, dans les souvenirs qu’il choisit d’illustrer.
Contemplatif avec des grands plans séquences panoramiques qui évoquent le voyage ; la photographie fait ressortir tout ce que le langage ne pourrait restituer. Magnifique - et d’ailleurs récompensé par le prix de la mise en scène du Festival de cannes en 1993, mais le propos n’y est aucunement en reste.
Le premier tableau, In Vespa (En Vespa), consiste en une balade d’une demi-heure dans les rues de Rome en plein été et sidère par sa liberté de ton et son invention du récit. La photographie montre une Rome estivale, à moitié déserte, et met en avant la beauté de l’architecture monumentale romaine tout en accompagnant les réflexions du réalisateur qui vont de la fermeture d’une majorité des cinémas l’été – ce qui l’ennuie énormément car les seuls films projetés sont X ou mauvais - à la complexité et la diversité des quartiers de la capitale. Dans ce chapitre particulièrement, (même si cela est valable tout au long du film) la bande-son est exceptionnelle et pleine de grâce allant de Leonard Cohen à Nicola Piovani en passant par Khaled. Cela fait sens car Nanni Moretti nous confie ici son désir de savoir danser après être tombé fou amoureux de Jennifer Beals de Flashdance et beaucoup de scènes tournent donc autour de ça, dans un bal ou lorsqu’il la croise « par hasard » dans la rue par exemple. Dans ses réflexions, souvent illustrés par de magnifiques plans de coupes évocateurs, il réalise qu’il n’a jamais été sur les lieux de l’assassinat de Pasolini et décide donc de prendre la route afin de clore ce tableau sur Köln Concert de Keith Jarrett.
Le deuxième tableau, Isole (les Iles), raconte une virée dans les iles Éoliennes avec son ami Gerardo - qui étudie Ulysse de Joyce depuis des années - à la recherche d’un peu de calme afin de pouvoir travailler. Cette deuxième partie est au service d’une critique parfois facile de la vulgarité de la société italienne. Dans la première ile où il rejoint Gerardo ils ne trouvent pas la tranquillité à cause de l’afflux de touristes et décident donc de partir vers l’ile de Salina, l’ile du règne des enfants uniques.
En parallèle de ça, Gerardo qui se définit comme grand intellectuel, est depuis toujours allergique à la télévision se trouve séduit par Amour, Gloire et Beauté, à tel point que cela devient une véritable addiction gentiment caricaturale de l’époque.
Épuisés par l’ile des enfants terribles qui rendent leurs parents fous, les deux amis décident d’aller à Stromboli, l’ile au volcan qui a cette atmosphère pesante de fin du monde, dirigée par un maire mégalomane qui souhaite les entrainer dans d’extravagants et couteux projets. En escaladant le volcan, Gerardo réussi à demander à des touristes américains la suite de son feuilleton, pas encore diffusé en Italie. Gerardo justifie son addiction à la télévision par différents mobiles intellectuels à chaque programme.
Ils décident de se rendre sur l’ile la plus sauvage des iles éoliennes qui est dépourvue d’eau courante et d’électricité. Ici, le calme règne et ils peuvent enfin se mettre à travailler. Mais Gerardo réalisant qu’en étant privé d’électricité, il était également privé de télévision, s’enfuit en courant, désespéré.
De situation burlesque en situation burlesque, il s’avère que finalement, le seul endroit réellement paisible lors de ces voyages est le trajet sur le banc du bateau.
Enfin, le troisième et dernier tableau, I Medicì (Les Médecins), raconte d’un regard comique l’épisode tragique de l’épreuve de sa maladie, sa guérison et son retour à la vie. Dans ce chapitre, contrairement aux deux précédents, aucun voyage n’est évoqué et peut sembler un peu plus détaché des deux précédents malgré le ton satirique qui persiste.
Ici, Nanni a un prurit qui le démange atrocement jour et nuit, au point de perturber son sommeil, il transpire et s’amaigrit à vue d’œil. Il rencontre donc les « meilleurs » dermatologues possible qui lui font des ordonnances longues comme le bras qu’il respecte sans broncher que ça soit des pilules, des crèmes ou des shampoings. Il essaie également les médecines alternatives comme l’acupuncture par exemple, sans succès. Se décidant enfin à faire un scanner sur les conseils de l’acupuncteur, une tumeur est révélée au poumon. Dans son encyclopédie médicale il se trouve que les symptômes dont ils souffrent sont bien ceux de cette maladie, et sur un ton de règlement de compte, il déclarera que « Les médecins savent parler mais pas écouter ».
Un chapitre à la fois drôle et amer qui se clôt sur une saine ordonnance : boire un grand verre d’eau et regarder la vie dans les yeux.
Dans ce film, Nanni Moretti traduit cinématographiquement l’exercice littéraire qu’est celui du journal intime. Ici, la voix off est le moteur de la mise en scène et la caméra remplace le stylo. C’est ce qui relie chacune des parties de ce films qui apparaissent comme autonomes. Le dernier regard-caméra, intense, presque intime, est l’aboutissement pour ne pas dire le paroxysme d’un film tendre, libre, qui mêle la parole en un acte aussi intime que politique.
Créée
le 3 oct. 2022
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