Même bien récitée, une messe ça reste quand même bien chiant…

Bon, passons rapidement les évidences pour aller à l’essentiel, voulez-vous ?
D’accord : c’est bien filmé.
Oui : il y a une photo plutôt sympa.
C’est vrai aussi : le cheminement de l’intrigue respecte efficacement les codes du genre.
Et enfin je vous l’accorde volontiers : Daniel Kaluuya campe très bien son personnage ; d’ailleurs globalement bien secondé par le reste du casting.
Sur tous ces points je pense qu’on est (presque) tous d’accord…
…Donc passons plutôt à ce qui est pour moi le vrai fond de l’affaire ; le vrai cœur du débat : l’intérêt.


Est-ce que ce film, en ce début de décennie 2020, est vraiment digne d’intérêt ?
Elle est là finalement la vraie question.
D’ailleurs quand je lis à droite et à gauche de ce qui a pu être dit de ce « Judas », je tombe généralement sur deux types de réactions à ce sujet.
D’un côté il y a ceux qui jugent ce film intéressant parce qu’il sait porter un regard sur la condition noire aux Etats-Unis ; mettant en exergue des vertus pédagogiques dans le fait d’exposer à la lumière une réalité – d’actualité qui plus est – et une réalité que le cinéma a trop longtemps laissée dans l’ombre (Ffred, Selenie, Rolex53)…
Et puis de l’autre côté il y a ceux qui considèrent que l’intérêt de ce film se trouve davantage dans sa capacité à reproduire efficacement les codes classiques d’un thriller à l’ancienne – indépendamment du sujet – (DanielOceanAndCo) ou bien encore par sa capacité à croiser les regards portés sur un même évènement aux dimensions multiples et complexes (Ceciloule).
Le problème me concernant, c’est que face à l’exposition de telles postures, je suis à chaque fois renvoyé à cette sempiternelle et même question : « De l’intérêt ? …Mais où ça ? »


Parce que, pour ma part, des films sur la condition noire aux Etats-Unis, je crois que c’est bon, j’ai eu ma dose.
Entre le « Detroit » de Katheryn Bigelow, le « Klansman » de Spike Lee, ou encore le « Green Book » de Peter Farrelly – pour ne citer qu’eux – je crois qu’on a déjà pas mal exploré la question, au risque de frôler la saturation et la redondance…
(…Et c’est un euphémisme.)
Et en ce qui me concerne, tous ces discours à base de « c’est d’actualité », « c’est nécessaire », « c’est instructif » ne sont clairement d’aucun effet sur moi.
La moraline ne fait pas partie des prescriptions qui me sont nécessaires.
Je crois même que passée une certaine dose, je développe des réactions allergiques…


Pour le coup je pourrais encore me retrouver dans les arguments de ceux qui mettent en avant l’élégance classique de ce « Judas » et sa forme efficacement académique…
Mais malgré tout – et ceux qui me connaissent pourront témoigner – j’avoue que l’académisme est aussi le genre de pratique qui sait rapidement me courir sur le haricot s’il s’avère qu’au final il n’est au service de rien de signifiant ou de singulier…
…Ce à quoi se limite quand même pas mal ce film à bien tout prendre.


Bref, de mon point de vue, ce long-métrage est clairement un foutu serpent qui se mord la queue.
Son sujet éculé couplé à son académisme de forme en font un film qui n’est certes pas dénué de mérite cinématographique mais qui, par contre, se retrouve incapable – presque par nature – de susciter chez moi une quelconque forme d’intérêt.


Alors certes, sa mise en scène efficace a su faire en sorte que je puisse le parcourir sans ennui ce qui n’est pas négligeable, j’en conviens…
…Mais d’un autre côté cette intrigue de l’évidence – pour ne pas dire de la bien-pensance – n’a jamais été en mesure chez moi de susciter de l’entrain.


Ce film je l’ai déjà vu trop de fois …
Je l’ai même d’ailleurs déjà tellement entendu me parler de plein de causes différentes – mais toujours sur le même ton – que je ne peux que me lasser de me retrouver une nouvelle fois de plus confronté à lui.
Une fois de trop…


Ce cinéma est certes propre mais il est désespérément lisse.
Il traite certes d’une histoire potentiellement intéressante mais sans pour autant savoir l’aborder selon un angle nouveau digne d’intérêt.
Ce cinéma c’est du cinéma de la photocopie. Du bon sentiment. Des bonnes intentions.
…Et pire encore : parfois du cinéma de la bonne morale.


C’est d’ailleurs ce dernier point qui – chez moi – a contribué à achever mon rapport à ce film.
Cette intro au sein du FBI qui nous présente un grand concile de méchants-blancs-vraiment-méchants comme dans « BlackKklansman » ; ces petits moments bien insistants visant de temps à temps à susciter l’indignation facile des spectateurs ; ce ton falot qui laisse suggérer que le film aborde son sujet sans tabou et avec une certaine sincérité alors qu'au fond il n'en est rien… Tout ça a clairement contribué à m’exaspérer…
Car à bien tout prendre, Shaka King tombe en fin de compte dans les mêmes travers habituels : convenance avec le sujet, manichéisme, indignation facile…
Tout ça est quand même un brin léger quand il s’agit d’aborder une question d’Histoire et/ou de société…
…Pour ne pas dire franchement malhonnête.


Mais bon, la pratique est tellement régulière et globalement acceptée qu’on pourrait effectivement ne pas s’en offusquer et finalement considérer tout ça comme une sorte de genre à part entière.
D’ailleurs, si moi je devais choisir la classification de ce « Judas », je ne le classerais pas parmi les thrillers, les biopics ou les films historiques. Non.
Pour moi ce film est davantage à ranger parmi les sermons. Et je dis ça en le marquant du sceau de l’évidence.
Tout dans ce film relève du sermon : une cause juste et morale mise en exergue ; des postures archétypales avec un Marty Sue et des apôtres plus ou moins vertueux ; une apologie d’un saint qu’on a injustement crucifié…
Shaka King ne nous ment d’ailleurs pas en ayant intitulé son film « Judas and the Black Messiah »….
…Plus qu’à une séance d’Histoire, c’était bien à une messe qu’il nous invitait depuis le départ.


Alors d’accord, il y a des gens qui aiment les messes ; voire qui en ont besoin. Soit.
Il y en a aussi d’autres qui n’en ont pas besoin mais qui savent apprécier l’élégance liturgique de ce type de cérémonie. Tant mieux et bravo à eux…
Mais moi, les messes – j’avoue – ça me gonfle.
Mon temps est précieux. Celui du monde aussi.
A mes yeux l’époque appelle davantage à l’éveil des sens et des réflexions plutôt qu’aux simples postures d’indignation, quand bien même celles-ci sont-elles bien exécutées.


Alors du coup moi je dis : au piquet Judas !
…Et qu’on laisse une bonne fois pour toute les messies sur leurs croix.
Moi ce que je veux c’est le retour des Cicéron et des Hypathie au cinéma.
Les messes ont fait leur temps.
Qu’on nous donne à voir et à penser.
Voilà ce qui, moi, me stimulerait vraiment l’œil et me nourrirait l’esprit.
A chacun son élévation…
…Mais chez moi elle se fait sans dieu ni maître.


A chacun ses standards…

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le 10 juin 2021

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