On dirait le Sud
Si le cinéma fordien est une vaste contrée qui s'étend du muet jusqu'au début du Nouvel Hollywood, présentant une incroyable variété de paysages allant du western jusqu'au drame social en passant...
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le 19 mars 2024
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Si le cinéma fordien est une vaste contrée qui s'étend du muet jusqu'au début du Nouvel Hollywood, présentant une incroyable variété de paysages allant du western jusqu'au drame social en passant notamment par le film de guerre, un univers riche et contrasté qui attire chaque jour de nombreux touristes venant s'émerveiller devant la majesté de ces hauts sommets ou se recueillir dans ses mythiques lieux de pèlerinage ; il existe également des lieux reculés, difficiles d'accès, un peu oubliés de tous qui sont autant de petites villes campagnardes, au charme pittoresque certain, où le soleil brille toujours, où le temps semble couler doucement et où il fait bon vivre loin du tumulte du reste du monde. Dans l'une de ces plus agréables localités, on trouve Judge Priest qui est un condensé de ce que Le Sud peut donner de meilleur : la douce chaleur de son climat qui semble déteindre sur ses habitants, une nature presque préservée idéale à la flânerie et à l'évasion, un rythme de vie tout sauf trépidant où l'on sait prendre son temps et profiter de ses langoureuses journées pleines de rires, de chants, d'engueulades, de flirts amoureux ou de souvenirs d'enfance. C'est ça aussi le cinéma de Ford, des instants de plaisir simple aux côtés de chefs-d'œuvre colossaux.
Judge Priest fait partie de ces chroniques légères s'intéressant au destin des petites gens auxquelles Ford était très attaché et grâce auxquelles il pouvait déclarer son amour pour ces héros du quotidien, ces gens simples pétris de qualité qui semblent être les derniers représentant d'une d'époque aujourd'hui révolue. Il ne faut donc pas s'attendre à une intrigue très complexe, le scénario est d'ailleurs assez minimaliste, Ford faisant la part belle à ses personnages dans lesquels il projette ses idéaux et toute sa nostalgie. C'est aussi l'un des meilleurs films qu'il tournât avec Will Rogers, acteur fordien par excellence au sujet duquel le cinéaste déclara : "Les gens de l'Ouest étaient comme Will Rogers. C'étaient des hommes bourrus et imparfaits, mais beaucoup étaient foncièrement doux et la plupart étaient foncièrement moraux et religieux, comme la plupart des gens qui vivent de la terre." Voilà bien résumer l'esprit du film.
Si celui-ci possède bien une petite intrigue, celle-ci n'est qu'un prétexte pour se balader dans ce Kentucky idyllique et plein de nostalgie. Je dis idyllique car évidemment le portrait que l'on a de cet Etat Sudiste, au lendemain de la guerre civile, est tout sauf réaliste. Ici Noirs et Blancs vivent en parfaite harmonie, et on tombe vite dans cette caricature souvent véhiculée par les films de cette époque avec de gentils Noirs servants docilement et chantant avec passion. C'est le gros défaut du métrage avec en point d'orgue la prestation de Lincoln Perry dans son habituel personnage de Stepin Fetchit, stéréotype raciste par excellence.
La vision idyllique de Ford se retrouve dans sa façon de filmer les liens entre les deux communautés, pleine d'entraide et d'empathie comme pour en atténuer les discordances. Un film donc à prendre comme une fable pour apprécier les portraits naïfs et tendres de ces personnages si attachants. On suit avec amusement ce juge débonnaire, profondément humain, qui écoute d'un air las les plaidoiries des avocats tout en lisant son journal mais qui n'hésite pas à défendre le plus faible ou aller donner un coup de pouce au destin pour que deux amoureux se retrouvent. Will Rogers apporte toute sa fantaisie et sa malice à ce personnage magnifique, l'un des meilleurs de l'univers fordien.
Les seconds couteaux ne sont pas en reste, on retrouve ainsi l'excellent Henry B. Walthall dans un rôle qui fait écho à celui qu'il tenait dans Naissance d'une nation ou Berton Churchill qui se montre d'une magnifique aisance avant d'aller poser ses fesses dans la fameuse diligence fordienne. On retrouve ces petits personnages dont Ford sait si bien utiliser le potentiel pour son récit, pour apporter une touche de charme avec les jeunes tourtereaux ou une pointe d'humour avec la vieille commère ou le cracheur de glaviot.
Judge Priest n'a pas l'envergure des grandes œuvres du maître, mais c'est un film bourré de charme et de tendresse, utopiste, nostalgique ; c'est une invitation à rencontrer ces savoureux personnages et profiter ainsi du plaisir simple de passer un peu de temps avec eux.
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le 19 mars 2024
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