Choisir, c'était renoncer pour toujours, pour jamais.

[Spoilers à foison]
Julie, incarnée par la solaire Renate Reinsve, étudiante et bientôt jeune active, traverse en 12 chapitres, un prologue et un épilogue, les étapes de la vie d'un jeune adulte. Le film nous pose et se pose constamment la question du passage de l'enfance à l'âge adulte, au fond qu’est-ce qu’être un adulte ? On pourrait y répondre de bien des façons : l'autonomie, le sens des responsabilités, les factures et les crédits à rembourser. Mais être adulte c'est aussi être confronté à une succession de choix à arbitrer. Des choix engageants, des choix déterminants, des choix qui ouvrent des chapitres et en ferment bien d'autres. Une citation d'André Gide exprime cela magnifiquement :



choisir, c'était renoncer pour toujours, pour jamais, à tout le reste et la quantité nombreuse de ce reste demeurait préférable à n'importe quelle unité.



En cela, ce film m'a fait penser à La la land, qui à l'instar de Julie (en 12 chapitres) est avant tout un film traitant du choix au travers de la renonciation.


Le premier choix qui s'offre à Julie est celui des études. Elle est dans un premier temps dans une optique de rentabilité, Julie a d'excellentes notes au lycée et cela doit naturellement se concrétiser par un cursus sélectif et à la hauteur de ses capacités : la médecine. Il s'agit d'un choix évident puisqu'il s'impose spontanément face aux critères de réussite édictés par la société : avoir un parcours scolaire remarquable pour ensuite déboucher sur un métier socialement valorisé.
Très rapidement Julie sent qu'elle aspire à d'autres choses et que la médecine est peut être un domaine trop technique pour une personnalité comme la sienne qui s'intéresse aux sciences humaines et bientôt à l'art et à la littérature. Comment choisir quand on a accès a une pléthore de formations et de métiers, qu'on a les capacités et compétences requises pour les endosser mais que le temps dont nous disposons est limité ?


La deuxième étape qui se présente à elle est celle de l'amour. Ici il n'est pas d'abord question de choix tant elle laisse errer son cœur au gré de ses pulsions amoureuses. Rapidement le flirt se mue en relation et c'est là que les problèmes commencent à pointer le bout de leur nez. Car au fond qu'est-ce que le couple ? Est-ce une union qui permet d'assouvir de manière assumée son amour envers autrui ? Peut-être. Mais il s'agit à mon sens tout autant d'une structuration sociale liée à la stabilité des familles et donc de la société. Le couple est donc un espace où les concubins s'engagent dans une forme de stabilité tacite en vue de bâtir un foyer et de faire prospérer leur famille. Et quelles sont les fondations à la base de toute famille ?



  • Le mariage, ici il n'en est pas question.

  • La descendance, point de cristallisation des tensions du couple.


Julie ne se sent pas l'âme d'une mère, pas pour le moment, peut être jamais. Il faut dire qu'elle vient de souffler sa trentième bougie et qu’elle vit avec Aksel, un quarantenaire, dessinateur et auteur d'une BD à l'humour caustique, incarné par Anders Danielsen Lie, acteur au regard tendre et mélancolique, comme le présage d'un temps compté.
Lui, est en recherche de stabilité, elle, veut expérimenter l'amour. Lui, a la fibre familiale, elle, est plutôt sauvage. Lui, est introverti, elle, danse de manière extravertie. Lui, a réussi sa carrière, elle, est une aspirante docteur devenue libraire. Bien des caractères les opposent et pourtant les deux amoureux se rejoignent dans une forme de sensibilité commune.


Jusqu'au jour où la passion s'estompe, où les premières effusions amoureuses ne sont plus qu'un lointain souvenir et ce jour-là, le quotidien devient pesant, et Julie aura beau essayer de se raccrocher à la tendresse qu'elle éprouve pour Aksel, rien n'y fera.


La troisième étape est celle de la confusion. La confusion des sentiments lorsqu'au détour d'une soirée dans laquelle elle s'est incrustée pour casser la routine et se sentir exister à nouveau, elle rencontre le discret Eivind, interprété par Herbet Nodrum. S'ensuit un jeu du flirt régressif où les limites de l'adultère sont posées. À partir de quel moment trompe-t-on ? Est-ce dès lors que naît le désir ? Est-ce dès qu'on l'envisage ? Est-ce dès qu'une complicité apparaît ? Julie lors de cette soirée, a instauré les prémisses d'un adultère qui va venir troubler un peu plus son rapport à l'amour, à Aksel, à Eivind, à tous ceux qu’elle aurait pu rencontrer mais qui resteront des silhouettes, des souvenirs évanescents.


Cette mélancolie de tous les amours entrevus, de tous ces baisers potentiels et de tous ces désirs songés, Brassens en parlait avec poésie dans Les Passantes :



Mais si l’on a manqué sa vie, on songe avec un peu d’envie à tous ces bonheurs entrevus. Aux baisers que l’on n’osa pas prendre, au cœur qui doivent vous attendre, aux yeux que l’on n’a jamais revu.



La dernière étape est celle de la résignation. Aksel est mourant, atteint d'un cancer en phase terminale. Ils ne sont plus ensemble depuis quelques temps déjà, mais lui ne l'a jamais oubliée, elle est "l'amour de sa vie". De son côté, Julie a refondé un couple avec Eivind. Et la voilà qui porte la vie, par accident, tandis que lui se consume peu à peu. Elle avait envisagé plus tôt, lors de leur séparation, que leurs chemins se croiseraient à nouveau, non pas par conviction mais plutôt pour calmer son chagrin. Et la voilà, à son chevet en train de retracer précocement le parcours d’une vie éphémère, et à ressentir la culpabilité et la frustration d’avoir préféré un autre choix de vie, celui de la pulsion face à la stabilité, celui de la liberté face à l’ordre établi.


Le film se termine dans un dernier parallèle, lui meurt, ainsi que celui qu’elle a enfanté. Autant de pertes subis et de non choix et autant de libérations, car au fond, la nature n’aimant pas le vide, pas plus que l’esprit humain, c’est pour elle l’opportunité de prendre un nouveau départ.


On sent que le réalisateur et son co-scénariste ont eu la volonté d’amener bien des sujets de réflexion contemporains, un peu convenus par moment mais jamais matraqués avec lourdeur : la sexualité, la famille, le patriarcat, la liberté d’expression, le numérique, la sensibilité masculine… On y comprend que les individus sont en perte de repères et que la famille n’assure pas toujours son rôle de boussole pas plus que la société enchevêtrée dans la redefinition d’un ensemble de paradigmes. Dès lors sur qui compter ?


La réalisation est soignée, le découpage est assez lent, contemplatif, il n’y a pas de plan accessoire. La photographie est belle et mélancolique. Les dialogues sont pertinents et touchants et le jeu d’acteur, notamment celui des deux protagonistes principaux, mais pas que, est d’une justesse déconcertante. Je ne sais pas si par moment vous avez ce sentiment de prendre conscience de votre réalité de spectateur, d’assister à une mise en scène, de réaliser que tout ce qui vous est montré est factice, une reconstitution, parfois une mascarade. Ça me le fait souvent. Mais pas cette fois, car le moment de vie qui nous a été offert avec autant de justesse dépasse le cadre du cinéma, il est universel.


Tusen Takk

ToOoy
9
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le 28 oct. 2021

Critique lue 276 fois

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ToOoy

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