A son retour de la guerre de Sécession américaine (« The Civil War ») dans laquelle l'immigrant danois Holger Olsen/Viggo Mortensen a pris part comme volontaire, il retrouve celle qu'il avait choisie pour partager sa vie et qui l'avait attendu patiemment.

Quand Vivienne Le Coudy/ Viky Krieps lui demande : « Et ta guerre, ça a été ? » Olsen lui répond simplement par l'affirmative, mais qu'elle a été trop longue et pas ce à quoi il s'attendait. Quand en retour il l'interroge sur celle que Vivienne a menée en son absence, elle fait mine de le rassurer.

L'Histoire de l'Amérique n'a pas commencé avec l'arrivée des milliers de migrants quittant ou fuyant pour des raisons diverses la vieille Europe. Ceux qu'improprement on a appelé pendant très longtemps « Indiens » et dont la confusion avec les habitants de l'Inde n'a pas été levée par l'apposition « d'Amérique », étaient les premiers acteurs de l'histoire des Amériques. Le cinéma nous les a abondamment présentés en les faisant passer pour ce qu'ils n'étaient pas : comme des sauvages cruels et stupides dans le meilleur des cas, comme des inexistants dans le pire. Les Amériques étaient donc des terres, sans peuple, promises au bonheur et à la cupidité de ceux qui quittaient l'Europe.

Quand le cinéma eut réglé la question des Amérindiens en racontant leur massacre puis comment les rescapés furent parqués dans des réserves, il s'attaqua à la conquête de l'ouest par les différentes vagues d'immigrants. Désormais, l'Eldorado américain devint une histoire de Winchester à répétition et de révolvers Colt, de portes battantes de saloon avec ses crachoirs à chique, ses regards de travers et ses parties de poker.

Il fallut attendre longtemps pour que le cinéma revisite la conquête du Far-West. Les Cheyennes, les Kiowas et les Apaches sont peu à peu redevenus des êtres humains, des êtres d'émotions et d'empathie. Les pistoleros ont progressivement rengainé et les Cow-boys ont pris la place qui leur revenait jusqu'au jour où une vague de fermiers nouveaux-venus ont clôturé les prairies pour les labourer et les mettre à l'abri des troupeaux de bovins. Il fallut alors demander aux hommes de main en retraite de reprendre du service pour remédier à cela.

Michael Cimino a payé le prix fort d'avoir osé revisiter le mythe de l'avancée vertueuse de la civilisation vers l'Ouest avec son film de 1980 La porte du paradis.

Avec Jusqu'au bout du monde,Viggo Mortensen met avec bonheur ses pas dans ceux de Michael Cimino.

Olsen ne fait que peu parler la poudre et est de même plutôt économe en mots. Il est tout regard et sourire esquissé, il n'en faut pas plus à l'ancien livreur de fleurs (dans la vraie vie) pour conter fleurette à Vivienne elle-même grande amatrice de floriculture.

Jusqu'au bout du monde raconte l'histoire d'un homme et d'une femme, d'un Danois venu d'Europe et d'une européenne passée par le Canada qui se rencontrent dans un port de la Côte-est de ce qui deviendra un jour les Etats-Unis d'Amérique. La statue de la Liberté d'Auguste Bartholdi n'accueille pas encore les migrants à l'embouchure du fleuve Hudson et Ellis Island n'assure pas encore l'accueil et le tri des nouveaux-arrivants dans le Nouveau Monde.

Les tourtereaux ont décidé de faire cause commune et commencent leur voyage vers l'Ouest avant de s'établir au milieu de nulle part en essayant d'enchanter les lieux. Olsen vend ses talents de charpentier aux voisins et Vivienne, soucieuse de son indépendance, trouve à s'employer au saloon de la bourgade voisine dont l'édile est davantage un riche propriétaire pressé de s'enrichir qu'un maire soucieux du bien-être de ses administrés. Nous entrons dans un univers dans lequel les rapports de domination ont force de loi.

La conquête de l'ouest américain puis la lente sédimentation du peuplement par les nouveaux arrivants s'est faite dans la peine et la douleur. Vivienne entretient le foyer et attend le retour de guerre d'Olsen. Elle se fait violenter par le fils du maire et de ce viol naît un petit garçon qui participe à l'attente de celui qui n'est pas son père.

Pas à pas, Olsen et Vivienne reprennent le cours d'une vie de l'endroit où ils l'avaient laissée et le jeune garçon de 5 ans y prend sa place. La mort de Vivienne suite à une contamination par une maladie vénérienne marque la fin d'une vie et le début d'une autre, le bout d'un monde et le début d'un autre pour Olsen et celui qui est devenu son fils.

Jusqu'au bout du monde est un film d'une lenteur calculée dans des paysages intenses où la vie ne fait pas de cadeau. Olsen et Vivienne sont de belles figures d'une grande force à qui Vicky Krieps et Viggo Mortensen donnent toute leur densité.

J'aime les taiseux qui en disent plus long que les grands bavards. De cette éloquence des silences, Viggo Mortensen a fait une marque de fabrique et il sait entraîner celles et ceux qui lui donnent...la réplique dans cet art subtil. Il y a ajouté la musique composée par ses soins.

Dans Loin des hommes de David Oelhoffen, Viggo Mortsensen partage le silence avec Reda Khateb en traversant une partie de l'Atlas algérien. Dans Green book: sur les routes du sud de Peter Farrelly, il est Tony l'italo-américain qui accompagne Don Shirley, le pianiste afro-américain, dans les Etats ségrégationnistes du sud étasunien.

Dans le premier film, le silence n'est presque jamais rompu ; dans le second Tony parle d'abondance ne ponctuant sa tchatche que par de rares silences et c'est Don Shirley qui est le plus économe de paroles et le le plus prolixe en regards éloquents.

Jusqu'au bout du monde est le second film de Viggo Mortensen comme réalisateur et scénariste.

Freddy-Klein
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le 7 mai 2024

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le 7 mai 2024

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Freddy Klein

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