Rarement un film n'aura réussi aussi bien à importer le langage et les figures de style du film de gangsters américain dans le giron du cinéma français. C’est avec une incroyable maestria qu’il parvient à donner du coffre au personnage de Justin, le « scar-fasse » de la cane(u)bière, défilant fièrement dans le vieux Port que même la bonne mère elle lui fait la courbette.


Après un monologue croustillant où un badaud dialogue avec un journaliste, quant à la frontière entre la vérité et la légende, c’est de la citation à la John Ford qui s‘invite chez Pagnol. Répondant à un reporter lui affirmant que les journalistes sont des chasseurs de vérité, ce dernier lui répond « il y a des chasseurs qui ne savent pas viser, et d’autres qui tuent leur chien » et contrecarrant son propos doutant de la véracité des faits qu’on relate, de lui balancer « La vérité de Marseille, elle est tellement belle, que de loin on la prend pour un mensonge ». Et de conclure par « dites-moi, vous n’avez jamais entendu parler de Justaing ? Et bien quand vous le connaîtrai Justaing, peut-être que vous comprendrez ! ».


Maurice Tourneur est probablement le cinéaste français le plus américain, et inversement. Dès 1914, il s’exile à Hollywood pour y tourner plus de 50 films. Sa mise en scène est très inspirée par ce qui s’y fait alors. On pense au style des films de gangsters de Raoul Walsh ou d'Howard Hawks, on s’attend à un moment ou à un autre à voir apparaître un Paul Muni ou un James Cagney…, une grande modernité de la mise en scène, je pense notamment à une utilisation du traveling, dans deux scènes, qui aurait pu inspirer le Scorsese des Affranchis, l’arrivée de Justin dans un bar après avoir échappé à la police et un superbe traveling arrière sur une table de jeu, où apparaissent pêle-mêle de véritables tronches de bandits de grand chemin, mais également un rythme effréné, une absence de pathos, une légèreté de ton, on vire souvent dans le vaudeville, je pense notamment à une scène de course-poursuite entre policiers et bandits, disons très méditerranéennes sur la notion du temps qui passe.


A la fois film de terroir, avec des dialogues grandiloquents à la marseillaise, des personnages très ancrés dans le patrimoine régional, avec notamment un excellent Pierre Larquey dans le rôle du « Bègue », et un ton général plutôt léger qui vire subitement dans une espèce de durcissement du trait, on rentre dans l’univers du film-noir américain, avec une facilité déconcertante, une incroyable palette de personnages, des bandits napolitains qui tentent de faire capoter un trafic d’opium entre la bande à Justin et la triade locale, ça ne se voit quasiment jamais dans le cinéma français.


Le scénario quant à lui n’est pas l’apanage premier de ce formidable film, parfait mixe de comédie à la Pagnol et de film de gangsters à la Raoul Walsh, mais il y a du style à revendre et une énergie absolue qu’une mise en scène inventive parvient à faire rentrer dans une dimension totalement inédite dans le film de genre hexagonal.

philippequevillart
8

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Créée

le 16 mars 2019

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