Suite à ses deux longs métrages Moi, toi et tous les autres (2005), et The Future (2011), la réalisatrice et artiste multi-facette Miranda July revient après une longue absence sur les écrans avec Kajillionaire. Cultivant une absurdité vraisemblable atypique, elle nous propose ici un film drôle et émouvant qui relate l’histoire d’un trio de choc composé d’un couple de cinquantenaires Robert et Theresa (joués respectivement par Richard Jenkins et Debra Winger), et de leur fille Old Dolio (Evan Rachel Wood). Vivant (ou plutôt survivant) en marge de la société à coups de vols, d’arnaques et de jeux concours, les protagonistes sont loin de la vie capitaliste et administrative que nous pauvres citoyens du monde occidental connaissons.


Presque invisibles (en tout cas essayant de l’être au maximum, quitte à exécuter des chorégraphies ridicules) et en précarité constante, ils ont pourtant l’air heureux ou tout du moins non malheureux de leur situation, qui ne comprend pas les éléments fixes auxquels la plupart des êtres humains aspirent (travail, logement, loisirs). Pourtant, on sent comme un malaise, une ombre qui plane au dessus de la jeune Old Dolio qui semble être la seule à se poser des questions sur ce mode de vie qui n’a pas l’air « normal », surtout au niveau sentimental. Après avoir été payée pour remplacer une future maman peu consciencieuse à des cours de préparation à la maternité, ses idées sur la relation mère/enfant vont commencer à se métamorphoser et lui donner envie d’en savoir et d’en avoir plus de la part de sa propre mère.


A cette situation frustrante de distance émotionnelle avec ses propres parents qui ne semblent pas capables de fournir quelconque affection, s’ajoute la rencontre avec Mélanie (Gina Rodriguez) à l’extrême opposé d’Old Dolio (tant physiquement que psychiquement) mais qui est, à la surprise générale, accueillie par le couple à bras ouverts lors d’une énième arnaque. Les discussions, les petites taquineries qu’elle reçoit vont faire ressentir à la jeune fille en manque d’amour une émotion qui l’a prend au dépourvu : la jalousie. Le spectateur est dans une position inconfortable ; c’est vrai que nous aussi on a envie de la détester cette arriviste qui récolte en quelques minutes des réactions parentales espérées depuis plus de 20 ans ; mais elle est si sympathique avec sa positivité contagieuse. En plus, Old Dolio elle, est toujours vue de loin, froide, dans un aspect presque fantomatique, recouvertes d’innombrables couches de vêtements et de cheveux qui ne laissent passer aucune once de personnalité ; alors que la pétillante Mélanie nous donne le droit de la regarder de près, et nous offre en très peu de temps plusieurs traits de caractères attachants. Le paradoxe est bien là : des squatteurs/profiteurs qui se font parasiter par la plus belle des bactéries.


Cependant, c’est cette arrivée indésirable mais délicieuse dans la vie d’Old Dolio qui va la révéler aux yeux du monde et inversement. Les réactions de cette enfant sauvage face à la réalisation des choses simples de la vie qu’elle n’a pas connu, comme être toucher, ou pouvoir manger des pancakes nous montrent un personnage plus complexe qu’il n’y paraît, maladroit mais charmant. Malheureusement c’est un goût de trop peu, on aimerait que cette découverte s’étende plus longtemps même si le dernier plan d’un long baiser à la caisse d’un magasin nous ravie et annonce un renouveau après de nombreuses galères loufoques qui fait du bien.

kellimagination
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le 20 oct. 2020

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