Ce que font nos enfants et que l'on ne nous dit pas...
Sur un scénario écrit par le jeune Harmony Korine au début des années 90, le photographe américain Larry Clark, connu pour son œuvre trash et sans concession sur les jeunes drogués de Tulsa, s’essayait au monde du cinéma. Et inutile de le cacher, dès qu’on a entrevu la trame du scénario, on ne cherche pas bien longtemps à comprendre pourquoi Clark est passé derrière la caméra. Il trouve là un thème à traiter qui ne sera pas sans lui rappeler ses sujets fétiches : les jeunes et leurs problèmes. Leurs problèmes qui ont d’ailleurs évolués depuis les années 60 où il débutait en photographie. Ici, il est question de l’ascension du SIDA dans les quartiers difficiles de son Amérique un peu perdue au milieu des années 90. Un mal réel se répand là comme une traînée de poudre blanche qu’ils ne manqueraient pas de priser sans savoir qu’elle les mènera à leur perte. Doucement. Mais fatalement. Larry Clark disait « Une fois que l’aiguille est rentrée, elle ne ressort plus » en faisant référence à sa jeunesse elle aussi marquée par la consommation de drogue. Du point de vue de la maladie du SIDA, cette phrase aurait des allures de métaphore. Sauf qu’elle n’apporte que la mort. Cette mort qui rôde tout au long de son film, personnifié par un personnage absolument antipathique interprété par Leo Fitzpatrick, acteur non professionnel. C’est à l’époque un mal trop méconnu pour être arrêté, identifié ou même compris. On ne le sait que trop tard, comme c’est le cas pour la douce mais pauvre Chloë Sevigny. Les questions, ils ne se les posent pas. La jeunesse ne doit pas attendre. Et c’est cet amer constat des vies en sursis de ses antihéros que Larry Clark filme sans aucune compassion de manière crue, directe, frontale. Pas de modération dans les dialogues ou dans les actes. Malgré une mise en scène soignée, le film se veut cash, skatant sur la rampe dangereuse du Sexe, Drogue & Rock’N’Roll, et le réalisateur n’a pas peur de choquer l’opinion publique en leur montrant ce qu’ils ne veulent pas voir ou pas croire, ces bas-fonds des quartiers de jeunes qui ne connaissent rien d’autre de la vie. Pour son audace, il sera même censuré aux Etats-Unis, ce qui ne l’empêche pas de marquer les esprits à Cannes et cela se comprend. Kids apparaît là comme l’un des premiers films à traiter du sujet grave qu’est le virus du SIDA même si d’autres étaient passés par là avant lui comme Cyril Collard avec Les Nuits Fauves. Mais ce qui surprend et fait grincer des dents, c’est l’angle sous lequel il est abordé. Parce qu’il se cache sous le masque de l’insouciance juvénile, il épouse la forme du mal insondable qui se propage sans faire de bruits. Et c’est bien ça le pire. Telly ne s’arrête jamais, emporté par son désir malsain de tromper l’ennui avec des jeunes femmes vierges. C’est encore là qu’on le retrouve à la fin du film. L’aiguille est rentrée une fois encore dans l’intimité d’une nouvelle victime. Tandis que de l’autre côté du mur, tout au pied, alors que le sommeil ou le coma ont gagné les corps dépravés des jeunes fêtards, survient le viol du personnage séropositif de Chloë Sevigny. Y’aura-t-il un jour une solution ou une prise de conscience ? Qu’elle concerne la drogue ou la maladie, c’est la question que semblait poser Larry Clark. Une question à laquelle il préfère ne pas répondre et finalement détourner le regard le temps d’une très belle scène qui vogue le long des rues New-Yorkaises mais n’apporte aucun réconfort. Les kids sont toujours là.