Captivant, intelligent, drôle, le film d'Okamoto a tout pour plaire. Mais ce qui confère l'originalité de ce métrage, c'est surtout un subtil mélange des genres qui entraîne le spectateur aussi bien sur les chemins du chanbara "pur jus", avec son lot de scènes spectaculaires, que dans l'univers désabusé du western-spaghetti. Personnellement, je suis toujours friand de ces œuvres qui bousculent les convenances et sortent des sentiers bien trop balisés du genre dans lequel on veut les enfermer. Le chanbara à ses codes qui lui sont propres et Okamoto a le talent et le bon goût de se les réapproprier pour nous servir une œuvre atypique, détonante, à sa sauce. Enfin, à la sauce spaghetti bien sûr...

Adapté du même ouvrage qui servit de référence au "Sanjuro" de Kurosawa, "Kiru" entreprend lui aussi de déboulonner l'image mythique du samouraï avec une certaine finesse je dois dire, Okamoto masquant la virulence de son propos par une ironie mordante et une légèreté de ton apparente. Autrement dit, le cinéaste a trouvé l'art et la manière pour mettre "les pieds dans le plat" avec une certaine élégance ! Une démarche finalement similaire à celle de Kurosawa dans "Sanjuro" qui, sous ses aspects de film léger, dénonce avec brio la violence tout en faisant passer un discours teinté d'humanisme.

Le personnage principal, Genta, est sensiblement proche de celui de "Sanjuro". Il est décrit comme étant un samouraï déchu qui est devenu un yakuza vagabond. C'est surtout un personnage profondément libre, non inféodé à une quelconque idéologie, qui va permettre au cinéaste de faire passer quelques vérités. Avec lui, s'élabore une critique en règle du samouraï, du moins ce qu'il est devenu : c'est-à-dire un pantin à la solde du pouvoir en place et ne recherchant que son propre confort. On est bien loin des valeurs véhiculées par le Bushido. La superficialité de cette classe est ainsi révélée avec malice lorsque Genta refuse de se soumettre aux différents rituels du samouraï : ceux-ci sont ainsi perçus comme de la poudre aux yeux, des artifices destinés uniquement à occulter la faillite de ces hommes d'honneur.

Derrière la figure du samouraï, se dessine la représentation d'une société en pleine déchéance où la corruption et les intérêts personnels prennent le pas sur l'intérêt général. On retrouve ainsi ce sentiment de désillusion propre au western-spaghetti avec une société où ceux qui détiennent le pouvoir en veulent toujours plus et les autres, les pauvres tentent tant bien que mal de survivre. Ainsi il est compréhensible pour le paysan de vouloir devenir samouraï simplement pour la fonction et pouvoir ainsi manger à sa faim. C'est la démarche de Hanjiro qui est prêt à oublier ses valeurs pour pouvoir se remplir la panse ! C'est ainsi avec cynisme et ironie qu'Okamoto nous montre la perversion d'un système qui ne fait qu'engendrer des créatures totalement immorales.

Okamoto reprend ainsi le flambeau du Kurosawa humaniste dans ce film de toute beauté où Nakadai se montre une nouvelle fois brillant. Sa principale réussite est d'avoir su si bien passer d'un registre à un autre, les moments dramatiques se succèdent aux instants comiques avec une fluidité tout à fait remarquable. "Kiru" est une œuvre réussie où l'ironie, l'humour et l'exubérance sont parfaitement assumés. Un film en tout point étonnant.

Créée

le 3 août 2023

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Procol Harum

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