Entre ses deux premiers films phares, La Balade Sauvage et Les Moissons du Ciel, et La Ligne Rouge devenu un classique du cinéma, Terrence Malick avait opéré une pause d’une vingtaine d’années. Le réalisateur assez réservé, ne donnant jamais d’interview, n’a jamais expliqué la raison de cette si longue absence, ce qui ouvrait la porte à tous les fantasmes: quelle idée, quel projet, quel film, avait pu obséder Malick à ce point pour qu’il prenne autant de temps ? A ce titre, La Ligne Rouge est une belle récompense pour cette attente. Bien que lent par moments, le film nous gratifiait d’une dénonciation de la guerre de la plus belle des manières, à travers une poésie lancinante et universelle qui filmait une Nature immuable, indifférente aux batailles de l’Homme, dérisoires.


Les films suivants de Malick n’auront pas toujours la même force: Le Nouveau Monde, bien que sincère dans l’amour qu’il exhale, s’étire bien trop dans sa romance entre une jeune indienne et un conquistador, et A la Merveille, comme on l’a déjà évoqué, s’était révélé décevant car ressemblant à un réchauffé mielleux de tout ce que Malick avait pu faire jusque-là. Seul The Tree of Life, immense fable lyrique et universelle, semblait ne pas trop trébucher dans les écueils artistiques dans lesquels le réalisateur semblait se fourvoyer de plus en plus souvent: à savoir une absence de scénario récurrente que ne comblait pas la poésie des images, et des films qui se ressemblaient trop entre eux.


Knight of Cups était donc un film plutôt décisif dans la carrière du réalisateur américain: allait-on assister à sa renaissance ou simplement à un nouvel échec qui répétait encore une fois les mécanismes connus de la romance malickienne ? La bande-annonce se révélait il y a quelques mois plutôt alléchante, nous promettant plutôt la seconde réponse. Alors que Malick s’était jusqu’ici toujours cantonné à un environnement rural, voire sauvage, il annonçait cette fois-ci une aventure urbaine et assez singulière qui indiquait un possible renouvellement des thèmes. De ce côté-là, on est à moitié déçus: Knight of Cups propose en réalité encore une romance; cependant, cette fois-ci, le protagoniste, un célèbre scénariste, loin d’être comblé par les joies de l’amour, est un pauvre hère qui navigue de femme en femme, sans savoir sur laquelle s’arrêter. Malick réalise d’ailleurs un parallèle avec une fable imaginaire, à laquelle le film doit son nom: « Il était une fois un jeune prince que son père, le souverain du royaume d’Orient, avait envoyé en Égypte afin qu’il y trouve une perle. Lorsque le prince arriva, le peuple lui offrit une coupe pour étancher sa soif. En buvant, le prince oublia qu’il était fils de roi, il oublia sa quête et il sombra dans un profond sommeil… »


Mais quelle est donc cette perle que le protagoniste recherchait, et dont le souvenir ne lui parvient à présent que par éclats ? L’amour véritable ? Le bonheur ? On ne le saura jamais. Comme si la coupe qu’on lui avait offerte était n’importe quel cocktail de jouvence, le protagoniste, incarné à la perfection par Christian Bale (The Machinist), semble avoir oublié ce qu’il était venu chercher, préférant s’abandonner dans le plaisir facile que lui procure son statut de scénariste à succès. Alors, les femmes se succèdent (Imogen Poots, Natalie Portman, Cate Blanchett), donnant quelque peu l’impression d’un casting sous-utilisé mais surtout celle d’un éventail de choix tous différents, auxquels le protagoniste ne souscrit jamais définitivement.


Les dialogues sont laconiques: les personnages n’ont besoin que de leurs expressions, leur corps, leur amour pour se comprendre, un amour généralement éphémère et instinctif. Loin de créer une atmosphère vulgaire, la virtuosité de Malick installe ces histoires d’amour successives dans un écrin on ne peut plus doux et confortable, tant la photographie est forte et pleine d’émotion. Ne vous attendez pas à un film ordinaire, à un scénario avec un déroulement et une fin. Non. Knight of Cups n’est qu’un long poème cinématographique de deux heures sur l’amour indécis d’un homme, coincé entre le souvenir d’un père regretté et celui, plus erratique, d’une perle dont il a oublié l’apparence. Ce long-métrage, comme tout film de Malick, ne plaira pas à tout un chacun, même s’il peut éveiller en quiconque une sensibilité insoupçonnée, due au choc des images qui, alliées à une voix-off enchanteresse, fournissent les meilleurs frissons de plaisir.


C’est un cinéma hermétique, certes, et très contemplatif. Mais c’est un cinéma unique, qui parle directement à vos sentiments, capable d’électriser et d’émerveiller n’importe quel esprit. Ne reste qu’à s’ouvrir à ce monde artistique si peu médiatisé, et pourtant si riche, si profond.

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le 4 déc. 2015

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Kevin Soma

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