Durant les années 90, Bertrand Tavernier aborde un nouveau pan dans son cinéma. En alternance de ses productions historiques (La Fille de d’Artagnan, Capitaine Conan), il se consacre à des thématiques sociales et contemporaines, sur la police, l’éducation (Ça commence aujourd’hui) ou un fait divers marquant (L’Appât).


L. 627 ouvre le bal, et propose une immersion dans le quotidien de la brigade des stups de Paris, écrite en partenariat avec un ex flic de la maison. L’ambition documentaire est évidente, et tout le système sera passé au crible, de la bureaucratie envahissante au manque de moyens, des protocoles stricts à la manière dont on joue avec la légalité pour gagner en efficacité, entre deals avec les indics, procédures douteuses, chantages et négociations.


L’état des lieux est bien souvent à charge : la détresse généralisée qui mène à la toxicomanie les laissés pour compte, le pessimisme de ceux qui les surveillent, l’incompétence de certains moutons noirs, la violence et le racisme sont le lot quotidien de ces soldats d’un pays malade, où l’on n’épargne personne. La volonté de réalisme brut de Tavernier est tout à son honneur, et fera date, notamment dans les séries policières qui suivront. Les héros ne sont plus de ce monde, remplacés par des hommes blessés qui par instant flanchent ou se laissent rattraper par toute la noirceur qu’ils côtoient. Le naturalisme n’empêche pourtant pas l’humour, soupape vitale pour une équipe qui, tant bien que mal, se ménage des échappées par le sarcasme, l’humour noir ou l’immaturité la plus crasse.


Tavernier, grand cinéphile et admirateur du cinéma américain, bannit tous ses procédés pour sa reconstitution : volontiers non dynamique, rivé au point de vue des flics, le rythme est celui des planques, de la répétition et, souvent, des insuccès. Un choix légitime, mais qui n’est pas sans poser quelques questions en termes de découpage, de narration et d’écriture. Le film, qui excède les 140 minutes, peine à sélectionner ses séquences, et semble par moment proposer une compilation d’instants révélateurs du quotidien de ses sujets, sans réel fil rouge. Les doutes et histoires amoureuses du personnage incarné par Didier Bezace ne sont pas toujours très convaincants, le jeu parfois forcé dans les scènes de groupe, notamment lorsque la leçon didactique contraint les comédiens à réciter des dialogues qui semblent extraits de revendications syndicales, pour légitimes qu’elles soient. Si le film fait clairement évoluer le regard sur un milieu, en le décapant de toute la légende dorée qui la cristallisé depuis des décennies, il accuse aujourd’hui un certain passage du temps et montre, un peu malgré lui, la gaucherie des premières fois. Un reproche qui met finalement à l’honneur tout le mérite de ses partis-pris.

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le 19 avr. 2021

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Sergent_Pepper

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