« Pour certains, être en vie suffit »

Une ascension sensorielle et sentimentale inattendue sous pavillon de convenance

C’est un totem péruvien. Il protège d’à peu près tout. Contre le mal, les mauvaises récoltes, la perte des cheveux… Tu as déjà vu un Péruvien chauve ?

Un pilote de montgolfière fat s’écrase providentiellement sur le réduit avicole de Gaby.


Une envolée baroque dans le ciel des émotions contrariées

S’il est une œuvre qui s’extrait des rails balisés de la bienséance narrative contemporaine tout en conservant les atours d’un récit accessible, c’est bien L’Aéronaute. Cette production, dérivée de la sphère tentaculaire de la maison Disney – bien qu’émanant d’une filiale étrangère, probablement émancipée des pruderies étasuniennes les plus rigides – fait preuve d’une audace formelle et thématique qui confine à l’effronterie.

Car enfin, qu’un film portant ce sceau institutionnel ose exhiber, sans fard ni ellipse pudibonde, des scènes de nudité franche, des simulations charnelles et les stigmates corporels laissés par un accident vasculaire cérébral, cela relève, dans le paysage cinématographique actuel, du pari téméraire sinon de l’hérésie féconde.


Une fantaisie narrative à la limite du vraisemblable

Dès les premiers instants, le spectateur est happé par un postulat que l’on qualifiera sans exagération de rocambolesque, voire d’abracadabrant dans sa prémisse : un homme, lesté de douleurs muettes, croise la route – ou plutôt l’espace aérien – d’une femme à l’indépendance farouche, et c’est dans la nacelle brinquebalante d’un ballon en quête d’élévation que se noue entre eux un dialogue plus éthéré que terrestre.

L’audace scénaristique consiste ici à mêler, sans rupture visible, le burlesque et la tragédie, la fable sentimentale et la chronique neurologique, en une métaphore filée de la légèreté comme résistance au poids des attaches affectives. La montgolfière devient ainsi non pas seulement véhicule, mais lieu symbolique de la déprise et de la verticalité affective, d’un deuil amoureux qui peine à se formuler autrement que par l’élévation physique.


Des corps marqués, des cœurs en suspens

Au cœur de cette odyssée insaisissable se déploie une thématique à la fois ténue et profondément universelle : la difficulté d’aimer sans vouloir posséder, l’acceptation douloureuse de l’impermanence et le lâcher-prise face aux ruines de l’amour ancien. Tout ici concourt à mettre en tension le corps et l’âme, l’un abîmé par la maladie, l’autre enchaîné par les vestiges du passé.

L’interprétation, toute en retenue habitée, évite les affèteries émotionnelles et propose, avec une grâce fragile, un tableau humainement nuancé, où chaque regard, chaque silence suspendu semble traversé par une densité affective à peine dicible. Le film se montre capable d’articuler la sensualité sans vulgarité, et la souffrance sans démonstration tapageuse — une rare alliance dans le cinéma contemporain, souvent prompt à verser dans le clinquant.


Une œuvre singulière sous bannière paradoxale

Il y a quelque chose de radicalement ironique, pour ne pas dire délicieusement contradictoire, à constater que cette œuvre — pleine de nudité, de vertige et de sensualité — porte en creux l’empreinte d’un empire culturel mondialement connu pour son aseptisation morale. Ce paradoxe, loin d’affaiblir le film, lui confère une subversivité diffuse, pratiquement imperceptible mais irréfutable.

Ce n’est pas tant que le film transgresse ; il glisse doucement hors des cadres attendus, comme s’il échappait à son propre cahier des charges pour rejoindre une sphère plus libre — à l’image de ses personnages qui, dans les hauteurs incertaines, trouvent peut-être plus de vérité que dans les récits balisés de la terre ferme.


Conclusion : un vol habité, une dérive maîtrisée

Cette production ne se contente pas d’être une comédie sentimentale déguisée en fable aérostatique ; il s’impose comme un conte mélancolique à la topographie affective sinueuse, dont l’élévation apparente masque une profondeur insoupçonnée. Le film ne révolutionne pas le septième art, mais il habite avec noblesse un interstice rare : celui d’une œuvre singulière, ambitieuse sans emphase, émotive sans mièvrerie.

Et c’est là, peut-être, que réside son mérite le plus durable : avoir su faire léviter, au sein d’une machinerie industrielle, une fiction au souffle fragile, mais authentique.


Trilaw
9
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le 11 oct. 2025

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