Arsenic et vieille rentière

Ce téléfilm en deux parties date de 1986, soit un an à peine avant la privatisation de TF1, rachetée en 1987 par Francis Bouygues.
Il s'agit donc d'un exemple pertinent de ce que pouvait proposer la première chaîne publique à ses téléspectateurs, en comparaison avec le niveau global des fictions depuis la privatisation (parmi lesquelles l'autre téléfilm consacré à l'affaire Marie Besnard, tourné en 2006, avec Muriel Robin dans le rôle-titre).

Même si j'ai vu ce dernier il y a longtemps, l'exigence requise de la part du téléspectateur par "L'affaire Marie Besnard" version 1986 m'a semblé bien supérieure.
Ainsi, dès les premières minutes, on évoque divers personnages sans les présenter de manière explicite, contraignant le public à une concentration de chaque instant ; de même, on assiste à de fréquentes ellipses, à des flashbacks, puis plus tard à des débats techniques hyper pointus lors du procès...

Contrairement à la plupart des fictions contemporaines, il n'est pas question de rajouter commodément une amourette pour intéresser la ménagère, ni d'intercaler un personnage fictif chargé de faciliter la compréhension du téléspectateur (par exemple la journaliste incarnée par Mélanie Bernier dans la version de 2006, ou plus récemment celle jouée par Laurence Arné dans "Une affaire française"), à l'instar des nombreux rappels au sein des dialogues afin que personne ne se sente trop perdu.
Bref, la mission télévisuelle consistant à "élever le spectateur" s'est clairement diluée avec le temps.

Le paradoxe, c'est que l'aridité de "L'affaire Marie Besnard" ne joue pas toujours en sa faveur : en effet, les protagonistes manquent de chair et peinent à gagner l'empathie du spectateur. De même, la gestion des ellipses apparaît un peu aléatoire, et on se dit parfois que le téléfilm s'adresse surtout à ceux qui connaissent déjà l'affaire dans le détail.

A contrario, la grande réussite du réalisateur André-Yves Hubert, qui obtiendra d'ailleurs un Sept d'or pour ce film, concerne la restitution de l'atmosphère d'une petite ville de province (Loudun) dans les années 40 : décors, costumes, ambiance, on s'y croirait...
Autre atout de cette fiction scénarisée par Frédéric Pottecher : l'interprétation, globalement remarquable, notamment au niveau des très nombreux seconds rôles - les deux seuls noms connus au générique étant ceux de Bernard Fresson et Alice Sapritch.

Finalement, l'affaire Besnard elle-même constitue la principale limite de ce téléfilm de prestige : certes, le faits divers de Loudun demeure fascinant, mais manque un peu de "rebondissements" pour remplir efficacement 3H15 de pellicule - sauf à restituer des pans entiers des trois procès subis par l'accusée (procédé un brin fastidieux à la longue).