Ozon plonge. Ouvre audacieusement son film sur un plongeon dans le fond d'un vagin. Plonge, en raccord, dans la pupille d'un regard. Plonge dans le labyrinthe d'une psyché malade. Plonge, comme la reine de Blanche-Neige, dans les reflets des miroirs, pour y quêter une vérité démultipliée. Plonge dans l'espace du phantasme, où rêve et réalité se confondent.


"Et Phèdre au labyrinthe avec vous descendue
Se serait, avec vous, retrouvée ou perdue"...
Épousant d'emblée si intimement l'intériorité de Chloé, à laquelle Ozon prête les traits fragiles et énigmatiques de Marine Vacth, le réalisateur s'aventure dans le labyrinthe de l'inconscient féminin, accompagnant ce personnage endolori dans sa rencontre avec son psychanalyste (Jérémie Renier, l'œil plissé, le regard attentif), puis, le lien ayant évolué, dans son emménagement avec celui-ci. Bien vite, on assiste à la naissance des soupçons : l'homme aimé aurait un jumeau, caché, sorte de double érotisé et maléfique, exerçant le même métier que lui, mais d'une tout autre manière.


Couple gémellaire qui fait pendant aux doubles plus ou moins féminins dont l'héroïne est entourée : la sœur qu'elle aurait toujours souhaité avoir, l'ex détruite l'ayant précédée dans les bras des jumeaux, les chats, dans le ronronnement desquels elle puise l'accès à une sensualité...


Dans un premier temps, le film procède à la façon d'un thriller, l'héroïne tentant de démêler l'écheveau de la nasse gémellaire dans laquelle elle semble prise. Mais l'enquête menée dans le monde extérieur finit par basculer vers le monde intérieur, ouvrant sur une exploration médico-psychique qui n'est pas sans rappeler l'univers d'un Cronenberg, notamment dans son fascinant "Faux-semblants" (1988).
En effet, si "je" est un autre, il devient moins surprenant qu'un autre puisse se cacher dans l'autre également... Un autre qui devient double, logiquement... Quel était alors le statut des scènes que l'on a prises pour réelles ?...


Ozon, de plus en plus, devient le cinéaste des marges, explore le deuil impossible, le mensonge, le phantasme, le réel incertain, la folie, l'érotiquement incorrect... Mais l'incorrect ne fait-il pas partie de la définition même de l'érotisme ?...

AnneSchneider
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le 1 juin 2017

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Anne Schneider

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