L’Amour dure trois ans commence bien.

Bukowski s’allume une clope et répond en 4:3 à la question d’une journaliste : Qu’est-ce que l’amour ? La réponse de l’écrivain, touchante, plane au-dessus du métrage. Comme une prophétie, tout d’abord, mais aussi parce que la sincérité des propos de l’écrivain ne sera jamais égalée de toute l'intrigue.

Le générique qui suit cette entrée en matière fait l’effet d’un contraste impressionnant : Si l’idée de montrer le déclin d’un mariage par le truchement d’une caméra intra-diégétique est plutôt sympathique, Beigbeder, qui adapte ici son propre roman, balance du pathos à l’écran avec un enthousiasme inégalé. La performance de Gaspard Proust pose d’ailleurs déjà problème : Si on imagine qu’ils se sont bien marrés à tourner ces petites scènes, l’Amour, ou plutôt son inéluctable évaporation, n’apparaît jamais vraiment dans le visage des deux acteurs, mais seulement dans la manière, consensuelle, dont l'union et la séparation sont filmées.
C’est d’ailleurs la chose qui pose le plus problème dans ce film, comme beaucoup de premiers films de réalisateurs : Il ne cesse de répliquer ce qui a déjà été fait plusieurs fois ailleurs, en moins bien.

La scène des vidéos-souvenirs avec une caméra vintage, par exemple, ferait presque office de parodie quand on la met à côté de celle présente dans le Paris, Texas de Wim Wenders. Placée au milieu du film, elle nous montrait pour la première fois la magnifique femme du protagoniste, et en faisait ressentir la perte. Ce visionnage à lui seul donnait envie, au spectateur comme au personnage de Harry Dean Stanton, de partir à sa recherche et recoller quelques morceaux. Dans le film de Beigbeder, en revanche, il s’agit d’une illustration un peu mièvre des propos de Bukowski, qui décrit l’amour comme un brouillard qui s’évapore à la première lueur de réalité.

Or…et bien, le film s’appelle l’Amour dure trois ans. C’est le film qui est censé illustrer la citation, pas son générique, pas avec ses tranches de vie de couple artificielles qu’on a déjà vu cent fois ailleurs. La scène au tribunal remplissait très bien ce rôle, malgré, encore une fois, une absence d’authenticité, cette fois dans les répliques.
Après ces premières minutes, le film révèle avec de grands sabots son caractère autobiographique, et c’est problématique :
Beigbeder adapte Beigbeder qui raconte Beigbeder. Si je n’ai pas lu le livre, il m'a fallu peu de temps pour cerner le personnage et les tares qu'il aime bien montrer: Arrogant, hédoniste, nombriliste, et faussement subversif. Si les deux premiers de ces défauts sont directement adressés et nommés par le héros, on retrouve les deux suivants dans l'écriture, et c'est un problème.

Beigbeder est surtout présent dans nos oreilles : on l'entend dans les dialogues, dans les appartés de son personnages, mais surtout dans la voix off, dont le texte est certainement tiré directement du bouquin éponyme.

Gaspard Proust cite Beigbeder plus qu’il ne le joue, d’ailleurs : Il garde les mêmes tics de langage, le même langage corporel qu’il montre dès qu’il monte sur scène ou doit subir les questions ridiculement agressives de l’insupportable « Meilleure intervieweuse de l’année 2015 » lors de la promo de ses films.

Dans son premier long-métrage, Beigbeder méprise son alter ego bien moins qu’il ne vante ses mérites. L’écrivain-chroniqueur-critique littéraire est branché, ses métiers ne possèdent que des avantages, et son antipathie ne révulse personne dans son entourage. Le vrai défaut de Marc Marronnier, le seul qui lui pose de vrais problèmes, c’est le même que tous les écrivains cools dans la fiction depuis Henri Chinaski (justement, on y revient) : une forte tendance à l’autodestruction.

Malheureusement, offrir à l’audience un personnage antipathique et suffisant ne suffit pas à rendre une histoire originale. Il suffit de s’enfiler quelques épisodes de Californication pour s’en convaincre. Le sens de la formule et les traits d’esprit du personnage principal ont d’ailleurs la fâcheuse tendance d’agir contre sa crédibilité et le processus d'identification.

Pourtant, le film lance une piste intéressante, qu’on imagine être une grande obsession de son auteur :
Sa rancune envers ses parents et leur divorce, qui serait la cause profonde de tous les problèmes de Beigbeder/Marronnier sur le plan sentimental. Il en vient à admirer ses grands-parents, que la mort a séparé après cinquante-sept ans de vie commune :
« Pourquoi nous, deux générations après, on n’y arrive plus ? »
Cette proclamation est très fidèle à l’idée du film, mais ne correspond absolument pas à son contenu concret : Une énième comédie romantique, ni plus ni moins. Adapter soi-même son bouquin pour au final tomber dans un travers cinématographique qu’on déteste pourtant en littérature, c’est bien dommage.

Reste le joli dernier plan, qui manque quand même de subtilité. Un petit moment de cinéma noyé par un raz-de-marée de moments piqués au cinéma. C’est mignon, mais c’est trop tard.

Jzzn
4
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Créée

le 9 juin 2016

Critique lue 513 fois

Jzzn

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