Un beau film argentin glaçant et très courageux dans son portrait de l’homme décadent. Une sorte de pendant à l’Etranger de Camus, sauf que cette fois le mal est plus profond encore.


Enfant gâté d’une civilisation qui lui promet tout, le jeune homme au visage poupin veut tout, tout de suite ( il y a aussi un peu de l’Appât de Tavernier et de Nocturama de Bonello – preuve que le sujet est préoccupant…) Il vole ce qui s’étale sous ses yeux, est paresseux, satisfait de lui-même, sans aucune valeur, sans aucune limite autre que son déplaisir. Il va rencontrer une famille de dégénérés ( le fils est une petite frappe avide de célébrité facile, la mère une cougar vulgaire, le père un drogué ancien malfrat) qui va lui proposer de plus grands moyens pour accéder à la réalisation de ses désirs.
Donner la mort est un jeu et il aime s’amuser. N’hésitant pas à trahir même son ami avec lequel il aime se dandiner au son d’une musique trash à la mode entre deux meurtres , il va révéler un nouveau type de monstre moderne sous une apparence bien propre, bien lisse. Le film réalise cette prouesse de faire baigner toute l’horreur dans une atmosphère acidulée, brillante, au moins quand il ne filme pas les intérieurs sordides qui servent de repères à cette bande de dégénérés. Là se situe la vraie horreur : dans ce décalage entre l’apparence lisse d’une civilisation ayant porté le confort à un haut degré et les individus qu’elle produit, sans plus de morale, à la sexualité primaire, aux besoins impérieux, des rebuts, en passe de devenir des normes, qui abandonnent toute humanité mais qui se promènent dans le monde avec un naturel confondant. D’ailleurs, reste-t-il un peu d’humanité ailleurs ? Un bourgeois amateur d'art qui fait miroiter à l’ami du héros un passage à la télévision – moment hautement cynique du film où on le voit chanter un air sirupeux en costume clinquant alors qu’il vient de participer à des meurtres- l’invite dans son antre luxueux pour l’utiliser dans un renversement des valeurs très bien vu. Il aime les jeunes hommes trouvés en boîte de nuit et leur demande le privilège de leur faire des fellations.


Le personnage peut ainsi être vu comme une juste actualisation de l’ange déchu, devenu une quasi normalité dans un monde fini. Même l’amour maternel aura été contaminé par le mal régnant. La fin, étonnante, laisse entendre qu'il va s'autodétruire par l'entremise de cette perversion de l'instinct le plus naturel qui soit.


Un film d’un très grand intérêt donc qui va bien plus loin que l’évocation habituelle des tueurs en série. On ne rejette plus la morale car il n’y en a plus. Bien plus subtil aussi, avec le risque d’être mal compris : j’ai lu des critiques qui n'ont visiblement pas pu aller plus loin que l’apparence lisse et séduisante et ont exprimé une attirance pour ce personnage, certes un tueur, mais si jeune et si mignon...si libre…
A noter que le film s’inspire de l’histoire vraie d’un criminel de 17 ans.

jaklin
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le 17 août 2020

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jaklin

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