L'Ange
7.1
L'Ange

Film de Patrick Bokanowski (1984)

L’Ange est un des rares long-métrages de l’animation expérimentale et le seul de Patrick Bokanowski. Il a commencé par s’illustrer avec La Femme qui se poudre, un court prodigieux. Dans L’Ange, il nous emmène dans des univers inqualifiables, hors du temps et surtout réfugiés dans un espace inconnu. C’est un grand travail esthétique, où se succèdent des séquences inouïes mais déroulant néanmoins des actions limpides.

Le film décline les illusions d’optique et chaque scène voit l’objectif de la caméra démultiplié. Avec L’Ange, chaque action est retransmise sous les différentes perceptions possibles. La narration est celle du mouvement, du rythme, de l’image infinie. Un vaste champ de techniques est employé et la fonction du montage mis à l’épreuve. La démarche est comparable à celle du "cinéma pur" des années 1920.

Ce cinéma se situe en marge de l’humanité propre, d’ailleurs les personnages sont des masques, des instruments ou des hybrides entre le fétiche et le mannequin. C’est une vie sensible et immobile mais fixée nulle part. Ces perceptions inspirent les paysages psychiques qui viendraient s’intercaler entre le quotidien et les objets de l’esprit, nous accompagnant sans se matérialiser purement.

L’ennui n’existe pas, car les ambiances sont fabuleuses. Le spectateur observe des mondes en sommeil, dont les éléments se déploient lentement, souvent victimes de ritournelles qui les possède. C’est du plus bel effet, toutefois cela manque finalement, non pas de sens, mais bien de consistance ; et par conséquent quelques chapitres s’étalent inutilement. L’étrangeté ne peut servir de justificatif pour balayer cette réalité.

Le sens, outre les gestes cristallins, qu’ils soient simples (se doucher) ou extraordinaires, est dans la poursuite de la variation finale. Fétichisés, les corps cherchent la lumière (ou l’illumination). C’est tout ce qui les met en marche. La notion d’ascension est scellée par la dernière séquence.

On peut découper le film en huit parties au moins, qui pourraient être isolées sans dommages. Celle du sabreur (1), puis la bonne et la cruche (2), l’homme à la douche (3), la bibliothèque (4). La cinquième, sur une plage, est un tournant du film, lançant sur une seconde moitié où le travail formel le plus abstrait l’emporte définitivement, sans ces scénarios opaques tournant sur eux-mêmes dans le première moitié. Se succèdent les deux femmes à table (6), la machine souterraine (7) où le mobilier banal est un organisme vu de l’intérieur, puis l’escalier (8), la belle procession finale.

Après L’Ange, Bokanowski ne va rien produire au cinéma pendant dix ans, puis reviendra avec de nouveaux courts-métrage (en général une dizaine de minutes). Ce sera surtout des escapades surréalistes plus accessibles et légères, comme Le Canard à l’orange où un crocodile vient danser avec une cuisinière.

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le 8 avr. 2014

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Zogarok

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