Ce qui surprend dans l’Antre de la folie, c’est la fraîcheur de ton que prend le récit. En effet, si l'identité musicale témoigne du style du réalisateur, le jusqu'auboutisme de son parti pris sur la folie assure un renouveau thématique de sa part. Le héros, campé par l’excellent Sam Neil, n’a pas une carrure très sportive, méprise le fantastique et s’inscrit pleinement dans la société moderne. Le type un peu chiant qui jubile dans son métier de contrôleur d'assurance. Mais dès que Carpenter commence à lancer son intrigue, il s'amuse à brouiller les repères de la réalité et de la fiction. Après une prise de contact musclée avec le monde de Sutter Kane (sous la forme d’un badaud au look de clochard comme menace ambigüe), John commence son enquête par la lecture des ouvrages de l’auteur en question. Il pourra constater dès leur achat le véritable vent de folie qu’ils provoquent (le fan de lecture hébété errant dans les rayons Fantastique), et sombrera lui-même peu à peu dans les méandres de l’univers de Kane. Carpenter expérimente alors différents mécanismes horrifiques, choisissant comme angle d’attaque la société moderne (le tabassage perpétré par un flic qui pourrit lorsque l’action se répète, la bande de clochards armés de haches…). En abusant du flash subliminal pour faire naître un sentiment d’angoisse diffus, aux relents religieux (les croix, les illustrations christiques…). C'est peut être là la faiblesse du film, à beaucoup expérimenter, la perte de repère est peut être trop abrupte, et le discours sur la folie s'insinuant dans la réalité en devient plus lourd. Mais là où Carpenter s’engage vraiment sur le terrain de King, c’est quant il introduit la ville fantôme de Hobb’s End, véritable résurrection de Castle Rock, où les habitants sont eux aussi victimes de l’influence des récits de Sutter Kane. A partir de là, Carpenter ne donne plus de limites à son récit, tous les moyens sont bons pour faire jaillir de l'horreur à tous les coins de rue. Des portraits qui changent (se pervertissant avec le temps), des enfants monstrueux, des habitants qui semblent évoluer dans une autre réalité, et Sutter Kane tapi au fond d’une église, rédigeant inlassablement ses récits à l’aura biblique. Il devient alors très intéressant de suivre les propos de Sutter Kane, qui déifient vraiment son œuvre, la comparant à une nouvelle bible dont la force et les fondements véritables auraient tout pouvoir sur ses lecteurs (Styles est la première à y succomber, pleurant des larmes de sang suite à la révélation).


Ainsi, Trent se retrouve un certain temps seul à affronter cet univers hostile, partant sans prévenir dans des moments de flippe totale (la simple descente dans la cave, une simple balade dans la rue…), jusqu'au face à face attendu avec Kane, qui livre enfin quelques repères. Si la peur n'est pas vraiment là constamment, la richesse de ce film en termes d'hommage horrifique est gigantesque. Monstres à tentacules, tueurs d'enfants, démons, créatures... Tout y passe dans une orgie de bis qui flatte immédiatement les amateurs de genre (et qui peut potentiellement submerger les novices). On en arrive alors à la démesure lovecraftienne lors d’une séquence expérimentale gargantuesque, la peur du noir cédant place à une horde innombrable de monstres. Le postulat du film sur la folie est assez clair : c'est la loi du nombre qui définit la folie, et non le bon sens à proprement parler. Le film fait le postulat de montrer un homme saint d'esprit dans un monde fou. En partant d'abord de détails banals pour culminer dans les excès les plus déroutants. Ultime tour de force d’un film d’une richesse insoupçonnée : le dénouement, totalement inattendu, qui se révèle être une des boucles les plus osées du cinéma fantastique, précédant la formule que Wes Craven exploitera à outrance avec le retour de Freddy. Finalement, c'est surtout la démesure de la folie qui fait la valeur de l'antre de la folie, plus que sa capacité à terrifier à proprement parler. En variant ses apparitions et en poussant son concept aussi loin qu'il l'a pu (le segment La fin absolue du monde des Masters of horror en sera une brillante synthèse), Carpenter a réussi sans peine à convaincre les amateurs d'horreur, qui peuvent alors s'enthousiasmer devant les perspectives de telles thématiques. A défaut d'en être fou, L'antre excite facilement l'imaginaire.

Voracinéphile
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le 25 mars 2015

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