L'Apollonide se déroule dans une maison-close, au détour d'un siècle (fin XIXè, début XXè). La caméra de Bertrand Bonello se balade dans cet endroit magnifique, sorte de labyrinthe dont on aimerait connaître tout les recoins, au milieu de femmes filmées avec sensualité et intelligence. Bonello reste (presque) en permanence dans cet espace clos et offre des images d'une beauté sidérante, de longs travellings qui font du film une sorte de train fantôme avançant au ralenti, au milieu d'un monde qui se meurt, au son d'une superbe BO rock complètement anachronique.

Ce qui frappe d'abord de manière évidente, c'est que l'Apollonide est un voyage à travers la cinéphilie du réalisateur, comme si il faisait là son premier film et qu'il sentait le besoin irrépressible d'y mettre toutes ces références : la seule scène en extérieure, solaire, évoque immédiatement le Van Gogh de Pialat, le personnage de la femme-qui-rit fait penser aussi bien le Joker de Nolan qu'à la Vénus Noire de Kechiche, d'autres grand noms s'entrechoquent dans le cerveau du spectateur (Renoir, Ophuls et Bunuel, en tête), la tenancière est jouée par Noémie Lvovsky et les clients sont, pour beaucoup, interprétés par d'autres grands noms du cinéma d'auteur français actuel : Beauvois, Nolot, ... (un hasard anecdotique? non - on y reviendra).

Malgré les parti pris qui pourraient, au départ, faire lorgner le film du côté du fantastique (mise en scène très maniériste, lumière anti-naturelle au possible, scènes de rêves, imaginaire propre au cinéma fantastique - "la femme qui rit" ), L'Apollonide est passionnant en tant que documentaire sur le quotidien d'un bordel à la fin du XIX : les usages économiques, la promiscuité, l'hygiène de vie, la visite du médecin, les repas... tout nous est montré avec minutie et permet au spectateur d'être complètement immergé dans ce lieu, en apnée au sein du groupe.

Cette confrontation entre les aspects naturaliste et (quasi-)fantastique du film permet également de mettre en scène la confrontation entre la réalité et le spectacle, les coulisses et la scène. D'un côté on nous montre le quotidien trivial des femmes, de l'autre ces mêmes femmes qui ne sont plus tout à fait les mêmes, puisqu'elles jouent un rôle, celui que les hommes, metteurs en scène d'un soir (mais pas que d'un soir, cf plus haut), leurs donnent à interpréter. Confrontation entre le vrai et le faux, en somme, toute la problématique du cinéma.

Mais cette confrontation de deux genres (naturaliste et fantastique) permet aussi, et surtout, la confrontation de deux genres (masculin et féminin). Car si la caméra de Bonello est toujours pudique, les hommes, eux, le sont moins. Ils ont beau être cultivés, riches et parfois même sympathiques, ils sont toujours en trop, toujours des intrus. La douce harmonie qui règne le jour se grippe la nuit, dès qu'un homme s'introduit dans le plan. Et lorsqu'il qu'il s'agit de passer à l'acte, ils deviennent au mieux ridicules et lâches, au pire vulgaires, pervers ou violents. Ils prétendent aimer ces femmes, mais les achètent et les abandonnent. "Les hommes ont des secrets, mais pas de mystères", phrase merveilleuse, résume tout cela formidablement.
Finalement les bordels ça serait bien, s'il n'y avait pas d'hommes.
Finalement le monde ça serait bien, s'il n'y avait pas d'hommes.
MacGuffin
9
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le 4 mai 2013

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MacGuffin

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