L'Armée des ombres par OlivierPhilippe
Un film sur la résistance. Le scénario n'est pas centré sur une action d'éclat précise, mais sur un héroïsme qui devient quotidien, la vie dans l'ombre et la clandestinité de ces hommes, les épreuves traversées quand ils doivent sacrifier l'un des leurs, la difficulté morale de tuer pour une cause juste. La réalisation est magnifique : les images ont une tonalité d'un bleu sombre.
Pourquoi cette armée est-elle des ombres ? D’abord, peut-être, parce qu’elle combat dans l’ombre, elle n’a pas la gloire d’un héroïsme en plein jour. On comprend qu’elle est constituée de personnes qui mourront dans l’ombre, sans avoir pu avouer leur engagement. Ils doivent se cacher à leur propre famille. Un officier de la gestapo le dit à un résistant arrêté : vous serez fusillé sans qu’on ne sache jamais qui vous étiez, pourquoi vous vous êtes sacrifiés. Cette lutte condamne à l’anonymat. Et l’un d’entre eux ira se sacrifier pour son ami, sans qu’aucun de la résistance n’ait connaissance de ce sacrifice : ils croiront à une lâcheté, et ne sachant pas qu’il s’est fait arrêté, ils ne songeront jamais à venir le délivrer.
Ce n’est pas seulement une armée qui combat dans l’ombre, c’est une armée constituée d’ombres. Jusqu’où iriez-vous pour un idéal ? Peut-on faire le mal au nom du bien, si la cause est juste ? Auriez-vous été un résistant, et auriez-vous étranglé vous-mêmes un traître ? C’est une chose de donner l’ordre, de justifier l’acte et d’avoir à l’exécuter. Ces hommes sont contraints de tuer les leurs et c’est une part d’eux-mêmes qui meurt. On ne se connaît jamais soi-même : on ne sait pas de quoi on est capable. Résistera-t-on à la torture ? Alors nous courir sous les ordres d’un nazi pour qu’il nous tire dans le dos ?
Pourquoi laisser les hommes courir pour leur tirer dans le dos ? C’est que l’ennemi veut vous réduire à l’état d’animal, vous voir courir comme un lapin. Si vous êtes un animal, ils doivent alors se sentir justifiés dans leur crime : on a le droit de tuer un animal, pas un être humain. Les bourreaux cherchent toujours à réduire l’homme à l’état animal. Mais certains hommes opposent une résistance : ils demeurent hommes face à l’adversité, et précisément parce qu’ils refusent de se laisser réduire à l’état de victime, suppliante, demandant à garder la vie.
Lino Ventura se pose la question : avant d’être exécuté, il sent qu’il aime plus la vie, comme un animal, que sa fidélité à son chef qui est philosophe et incarne la civilisation, l’humanité, au-dessus de l’animal. Mais face à l’assurance de l’officier nazi, il préfère l’honneur de ne pas courir, de ne pas obéir. Certes, un temps, c’est son désir animal qui l’amènera à être sauvé, mais ensuite, il refusera à nouveau de courir.
L’humanité de ces personnages se révèle bien dans l’acceptation de la mort. Ils savent qu’ils risquent la mort. Nous connaissons le dénouement de l’histoire. Mais eux non, et ils luttent dans une guerre qui n’a pas d’issue au moment de leur mort. Leur action n’a pas de résultat et ils ne renoncent pas : c’est cela qui en fait des personnages à la fois éthiques (tendre vers le bien, même si le résultat n’est pas là) et tragiques (un espoir qui se butte à un mur).
Ces hommes ne se connaissent pas : ils sont travaillés par leur propre ombre qu’ils découvrent définitivement attachée à leur existence. Serions-nous capable de tuer un traitre nous-mêmes ? Ou trahirons-nous nos amis pour sauver notre fille ? Seule la mort les sauve d’eux-mêmes.