Si je ne peux être le frère du roi, si je ne veux plus être le fou du roi, je serai le tueur de roi

Si je ne peux être le frère du roi, si je ne veux plus être le fou du roi, je serai le tueur de roi et je pourrai vous raconter cette histoire :

Un jour j'ai entendu parler d'un enfant qui chaque nuit avant de s'endormir passait sa tête par la fenêtre et contemplait le ciel étoilé. Fasciné par les astres il ne pouvait s'empêcher d'y rêver, d'y penser ... Il consacra donc son temps, son énergie, sa fortune et sa sueur à tenter d'aller sur la Lune. Un jour on m'annonce qu'une rumeur prétend qu'il a réussi, je vais donc le voir et lui demande de me raconter son aventure, il me regarde alors avec un regard blessé et c'est le front bas tout en me poignardant qu'il me chuchote "Ce n'était qu'un caillou".

...

L'Assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford (ADJJPLLRF pour les intimes) a une photo léchée délicieuse, une musique soignée magnifique, des acteurs de talent, un scénario très intéressant pour tout ce qu'il permet, toutes ses possibilités.

Ainsi c'est l'histoire d'un jeune homme, dernier d'une fratrie de cinq, considéré toujours comme "le jeune", "le petit dernier", "le simplet" mais qui depuis le début de son enfance rêve d'aventure, lit les aventures de Jesse James, veut le rencontrer, marcher sur ses traces, le seconder. Le film raconte cette rencontre entre l'icône
/la légende et l'idolâtre.

D'un coté on a donc les espérances, la naïveté, la jeunesse pour rencontrer de l'autre le cynisme sous un air jovial, le pragmatisme sous la politesse, l'homme confronté à sa propre légende. Le brouillard installé par le fantasme enfantin (et non pas de jeunesse puisque tout le film insiste justement sur la jeunesse de Robert Ford) se dissipe donc au fur et à mesure de leur rencontre sous les assauts moqueurs et le quotidien réel, sa violence, sa paranoïa. ADJJPLLRF prend son temps, le rythme est mesuré mais une fois que vous serez saisi, vous aurez bien du mal à décrocher.

N'imaginez donc pas un western trépidant bourré d'attaques de wagons et de banques, on prend le train en marche lors du dernier coup des frères James, puis on suit la déliquescence lente et ordonnée de Jesse James lui-même et de la plupart de ses complices. Robert Ford a l'impression d'entrer dans le territoire des légendes, lui qui a toujours été rabaissé, il veut en être une, ou tout du moins les côtoyer, ce sera désillusion sur désillusion pour lui.

Le titre annonce dès le départ la couleur, c'est donc un tour de magie ou une partie de poker qui ne repose pas sur la surprise, sur le fait lui-même, mais sur le trajet, le moyen pour y arriver. On nous a donné les rôles : le "lâche" Robert Ford et le "grand" Jesse James, il faut désormais que le rideau se lève pour retomber sur un cadavre. On a donc tous notre temps pour apprendre à les connaître, à les apprécier ou les mépriser. Casey Affleck se débrouille parfaitement dans ce rôle de ce rêveur, ce grand enfant, maladroit au départ, qui sera endurci peu à peu par le temps et la nécessité. Quand il appuie sur la détente, il exauce son désir profond, celui d'arrêter le temps, de pétrifier pour l'éternité l'homme dans sa légende et d'entrer dans l'Histoire ainsi à ses cotés. Il réalise aussi les désirs de celui qui ne se reconnait plus, qui sait que son temps est terminé et qu'il ne pourra plus continuer à vivre comme il l'avait fait, qui explique que lorsqu'on a déjà quitté en pensée son corps, retourner dans sa carcasse de chair c'est forcer un homme à ravaler son propre vomi ...

Bien entendu Jesse James sait qu'il va mourir, il sait qui va le tuer, il voit le coup venir, que dis-je !? Il a oeuvré pour que le coup tombe, montrant les crocs, retroussant les babines, faisant croire pour la dernière fois qu'il allait essayer de vous saisir à la jugulaire et ce pas seulement dans les derniers instants, c'est une préparation de longue, longue date pour saisir dans une poussière qu'on enlève, le reflet de l'enfant, du disciple, du reflet ... déformé.

Donc c'est beau, il y a des scènes à tomber de son cheval ou de son fauteuil, on insufle une magie, une tension, parfois un bout de spleen mais surtout une harmonie et une compréhension des tenants et aboutissants des personnages.

Quand enfin le corps repose sans vie, qu'il est étendu tel un imposant grizzli, gibier suicidaire mais terriblement effrayant, alors que le gong final et les applaudissements devraient retentir, le tout continue, la scène est rejouée encore et encore mais sous un angle différent, on cherche à conjecturer la malédiction, à apporter un nouveau regard, mais le poids des années se fait toujours plus lourd, le souvenir de ce Jesse James joué par un Brad Pitt en forme plane toujours implacable puisque immortel désormais dans l'imaginaire collectif, sorte de Robin des Bois, et ainsi l'histoire doit se répéter, celui qui ôta la vie pour l'Histoire, se fait ôter la vie pour devenir à son tour histoire ... Une bien triste fin.
Cmd
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le 25 août 2012

Modifiée

le 25 août 2012

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