"What happened to you? — Not a thing. I'm just made up for Halloween."

Rha mais quel dommage que certains recoins de scénario, certains comportements, et certaines explicitations soient autant maladroits, ou du moins aient subi avec beaucoup de dommages l'effet des 80 ans qui nous séparent de la sortie de The Strange Love of Martha Ivers... La structure est classieuse, en prise directe avec les passages obligés appréciables du film noir : une courte introduction scelle le destin de trois enfants, trois amis liés par la mort d'une personne au pied d'un escalier (ces escaliers qui constituent d'ailleurs une figure à part entière du film noir), et un flash-forward initie le reste du film avec le retour d'un des trois, une vingtaine d'années plus tard. Un retour vécu comme un élément perturbateur inséré dans une configuration qui avait fini par trouver son équilibre, en apparence tout du moins.


Pas mal de choses ternissent le tableau. Le retour de l'enfant qui s'était enfui, interprété par Van Heflin à l'âge adulte, tombe un peu comme un cheveu sur la soupe, avec une mise en scène fort peu habile pour figurer le hasard de celui qui revient dans sa ville natale sans s'en rendre compte. La figuration au forceps des liens entre les enfants d'hier et les adultes d'aujourd'hui, pour éviter que des spectateurs étourdis n'aient pas compris que les personnages de Barbara Stanwyck et Kirk Douglas correspondent aux enfants de l'introduction, à grand renfort de dialogues faisant référence sans subtilité à la scène qu'on a pu voir 10 minutes plus tôt. Toutes ces coutures un peu moches ont participé à minorer l'intérêt du film malheureusement, alors qu'il dispose d'arguments plutôt convaincants.


C'est un thème qu'on verrait davantage associé à Lang qu'à Milestone, mais la question de la culpabilité criminelle est abordée de manière attrayante dans L'Emprise du crime, à la faveur d'un quiproquo matriciel. Quand Sam retrouve ses amis d'enfance, Martha et Walter, il ne comprend pas pourquoi ils tirent une gueule d'enterrement quand il leur demande un service — en l'occurrence, un geste de bienveillance à l'égard d'une fille qu'il vient de rencontrer et jouée par Lizabeth Scott, sosie troublante de Lauren Bacall. Mais ce qu'on ne comprend pas tout de suite, c'est que d'une part les deux croient que le revenant est là pour un gros morceau de chantage (une faveur contre son silence au sujet du meurtre de leur enfance), et d'autre part le témoin en question n'a jamais assisté au dit meurtre. Le début d'un long parcours marqué par les échecs, l'amertume des désirs frustrés et des rêves non-réalisés.


Ainsi se dévoile un film qui nourrit un sentiment de solitude morale plutôt puissant, dans une ambiance désenchantée, avec la figure du pont vers le passé construit par le retour d'un homme qu'on avait oublié, ravivant une ancienne blessure. La peur de voir le secret révélé est assez joliment montrée (un innocent a quand même perdu la vie, il y a de quoi avoir des remords), les débuts cinématographiques de Kirk Douglas sont attachants, et le nœud passionnel entre les trois protagonistes, à travers les consciences torturées, contient une dose de fatalité très appréciable.


http://www.je-mattarde.com/index.php?post/L-Emprise-du-crime-de-Lewis-Milestone-1946

Morrinson
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le 24 févr. 2023

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Morrinson

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