J'ai toujours du mal avec les films de propagande, même lorsqu'ils sont réalisés par des génies comme Akira Kurosawa ou, ici, Andreï Tarkovksi. L'Enfance d'Ivan est son premier long-métrage, et même si Staline est mort depuis presque dix ans, la propagande est bel et bien là - même si Tarkovski tente de s'en éloigner. Le scénario est somme toute limpide : un enfant soldat sert d'éclaireur à l'Armée Rouge pendant la Seconde Guerre mondiale. Mais la réalité de la guerre, malgré les cadavres et l'horreur nazie bien documentée dans le film, est édulcorée : les Soviétiques sont angéliques. Certes, ils utilisent un enfant pour des missions dangereuses, mais attention. De un c'est lui-même qui est volontaire, et d'ailleurs il ne veut pas quitter le front pour intégrer une école militaire, et de deux ses trois tuteurs tiennent vraiment à lui comme leur propre fils - et ça ne les dérange pas d'envoyer leur fils à une mort quasi-certaine. Bref, gloire à l'Armée rouge, tout ça tout ça. Avec en sus une romance et une jalousie assez malvenue avec la médecin du camp, qui commence avec un soupçon d'agression sexuelle et qui ne mène finalement nulle part.
Heureusement, le talent de Tarkovski est flamboyant. Les plans sont sublimes, avec déjà ses lubies esthétiques : l'eau sous toute ses formes et filmée sous tous les angles, les ruines et les décombres, les forêts tant lumineuses qu'inquiétantes, la brume qui enveloppe tout comme si ce n'était qu'un rêve. Avec ses lubies thématiques, la guerre, la mort, l'éternel recommencement, un pessimisme jamais dénué d'espoir. Et avec ses personnages inoubliables, ici Ivan bien sûr, avec une performance vraiment bluffante de cet enfant-acteur, ses trois tuteurs aussi cruels que bien intentionnés, le jeune commandant intrépide que rien ne décontenance, et la médecin, donc, que Tarkovski prend du plaisir à mettre en valeur avec sa caméra, bien avant les actrices de Solaris et du Miroir. Il faudra attendre que Tarkovski ose s'affranchir un minimum de la propagande soviétique pour s'adonner à ses chefs d'œuvre, largement en germe dans ce premier long-métrage. On va dire que c'est surtout pour tous ces aspects positifs que le film a reçu le Lion d'Or à la Mostra de Venise, et pas pour son histoire et ses sous-entendus.