A côtés des blockbusters à grand spectacle, le genre coqueluche d’Hollywood, que ce soit en terme de prestige ou de qualité de production, ça reste le film historique ; souvent corrélé au genre du biopic. Très mis en avant lors des cérémonies de récompense, souvent un terrain de jeu pour des réalisateurs prestigieux (comme on le verra bientôt avec le nouveau Ridley Scott), mais un genre qui petit à petit semble s’essouffler, ou du moins de plus en plus faire face à une forme d’académisme qui provoque de moins en moins l’excitation des spectateurs. Pourtant nombre sont les réalisateurs à avoir tenté de renouveler ce genre ou du moins à avoir expérimenté des styles de narrations moins conventionnels par rapport à certaines diarrhées sur pellicule ; à commencer par le Bendetta de Paul Verhoeven, film plus prompt à la satire et au toupet par rapport à son contexte historique et surtout religieux. La religion c’est justement l’un des thèmes phare du nouveau film du vieux mais vigoureux Marco Bellocchio, qui, ô quel beau hasard, est un film historique. Et justement, ce réalisateur plutôt prolifique n’a pas arrêté de questionner l’Histoire, en particulier de son pays, l’Italie, et par la même occasion, réaliser des biopics voire des œuvres historiques. Pourtant loin de simplement raconter la petite histoire à l’intérieur de la grande, tous ses films genrés historique ont pour but de mettre en avant des événements insoupçonnés ayant pourtant eu un impact dans l’Histoire de l’Italie plus ou moins contemporaine, que ce soit à une échelle politique, sociale, voire internationale.



Pour être parfaitement honnête, j’ai vu trop peu de la filmographie de Marco Bellocchio pour pouvoir parfaitement me prononcer sur le gros de son œuvre. Malgré ça, du peu que j’avais vu, l’avant visionnage de L’enlèvement était teinté d’espoir mais aussi de crainte ; car si Bellocchio possède une vraie vision d’auteur et une direction artistique forte, il reste qu’il s’agit d’un auteur classique, qui s’il ne tombe pas dans une vision académique de l’art, fait ses films avec une profonde connaissance et compétence du métier sans pour autant traiter avec la justesse espérée la ribambelle de thèmes qu’il explore. Car au-delà de l’aspect historique de ses métrages, Marco Bellocchio propose toujours des films denses, et ici il se fait plaisir ; abordant évidemment la question de la religion et la foi catholique, comment elle se forme ou se défait, les conflits religieux, la morale religieuse ou encore le pouvoir religieux. Mais au-delà de ces questions christiques, par les points de vue adoptés, L’enlèvement aborde pêle-mêle la perte d’un enfant et l’amour filial, le passage à l’âge adulte et la construction mentale des enfants, la paranoïa et les abus de pouvoir, etc. Si le film aborde certains thèmes plus ou moins frontalement, en filmant par exemple toujours de manière insidieuse l’emprise du pape Pie IX sur Edgardo, que ce soit dans une dynamique de jeu/confiance ou au contraire de possession, Marco Bellocchio s’en remet parfois trop souvent aux dialogues explicatifs et peine à raccrocher les wagons entre le début et la fin de son métrage. Les quinzes premières et dernières minutes sont techniquement toujours aussi passionnantes et émotionnellement puissantes que les autres, mais on sent que le réalisateur souhaite à tout pris offrir une conclusion à toutes les pistes thématiques qu’il a creusé, parfois de manière un peu décevante. Pourtant narrativement parlant, comme dit plus haut, bien que le tout soit classique, il reste très efficace. Malgré quelques séquences attendus pour ne pas dire légion d’un tel point de départ, soit l’enlèvement d’un enfant, Marco Bellocchio compense en maximisant l’intensité de ces scènes, quelles soient d’ordre dramaturgiques, ou au contraire ésotériques. Dur de définir quelle serait la plus belle séquence en terme d’émotions que de réalisation, lors d’une entrevue exceptionnelle entre la mère et son fils, ou une scène digne d’un mythe christique où Edgardo interagit avec une statue de Jésus. Toutes ces séquences montrent que malgré une forme classique, Marco Bellocchio arrive à injecter du cinéma, et même du grand, que ce soit avec un regard d’enfant que d’adulte, mais surtout une limpidité extraordinaire dans cet exercice, au point où tout sonne juste sans pour autant être pleinement abouti. Pour autant, si le film n’est pas révolutionnaire, il reste proprement intense dans ces séquences, avec des idées de plan, de répliques, qui sonnent presque toujours justes. D’autant plus dans le développement de ses personnages, qu’ils soient mineurs ou important, il réussit à leur donner une consistance indéniable qui se répercutent lors de scènes clés, notamment une séquence de procès dont on verra surtout la fin, et qui offre un aboutissement émotionnel parfois imprévisible. C’est d’autant plus fort par rapport à la narration du film, qui s’étend sur un temps long dont on ressent au fil du film le poids des années malgré que sur les dernières minutes, on sente le réalisateur courir pour conclure tout son cheminement de pensée. M’enfin bref, malgré son âge, Bellocchio est encore jeune dans sa tête et sait proposer du cinéma ambitieux ; que ce soit dans la densité de ses thématiques, la puissance de son scénario ou bien sûr son désir de mise en scène.


Effectivement, L’enlèvement est un film bouleversant et haletant autant dans ce qu’il raconte dans le fond, que ce qu’il montre dans la forme. Car par rapport au formalisme que je soulevais par rapport à Bellocchio ou aux habitués du genre Historique, il y a un point que je n’ai pas énoncé, c’est la manière que le monsieur a de faire des films impressionnants dans leur mise en scène. Sans pour autant user de grands appareils technique comme les plans séquences ou simplement l’utilisation de fond vert, Bellocchio offre à son récit une autre dimension plastique par ses choix de mise en scène, alternant sans sans problème entre la fresque intime et grandiose. Un mélange sur le papier antagoniste, mais qui révèle des trésors d’idées visuelles, notamment par l’utilisation presque mystique de la lumière, une musique presque aussi imposante qu’à un opéra, une photo assez baroque mais qui capture à merveille la lumière ou l’obscurité, le travail des costumes qui est une accoutumance pour le genre du film historique mais qui reste à soulever, et enfin, la caméra en elle-même, qu’elle soit du point de vue de l’enfant (offrant des cadrages très forts, comme lorsqu’il se refuge dans les habits du pape), ou au contraire du point de vue des adultes qui arrive à surligner la grandeur (souvent tragique) des situations filmées ; jusqu’à des scènes de chaos proprement haletantes, aussi impressionnantes qu’un blockbuster hollywoodien, mais surtout profondément majestueuses. En comparaison, les parents et l’enfant sont filmés tour à tour sur un bateau, et il est dès lors facile de voir le contraste entre les deux, là où chez l’enfant, Bellocchio filme au plus proche de son personnage avec un sentiment de merveilleux s’en dégageant, chez les parents, le ton est plus grave, la caméra stoïque, et le cadre brumeux, gris et bien plus lourd. Un travail d’artisan indéniable qui se retranscrit sur toute l’œuvre, et qui fait passer ce récit classique mais efficace à une œuvre grandiose qui ne lâche jamais son spectateur, que ce soit intellectuellement ou émotionnellement parlant ; la mise en scène intensifiant ainsi les séquences les plus fortes du film, notamment vers la fin du film, après le décès d’un des personnages. Au final même si je considère que le récit des parents et celui de l’enfant coupé par un fossé narratif, qui rend le film assez hétérogène, Marco Bellocchio m’a fait passer la pilule avec ses visuels qui n’ennuient jamais. Sans compter qu’au-delà de son côté impressionnant, L’enlèvement n’hésite pas par moments à tomber dans une forme de kitsch, semblable à un Benedetta en moins poussé bien que donnant une densité supplémentaire au film. Au final, je peut presque dire de L’enlèvement qu’il ne s’agit en rien d’un film classique, car s’il est profondément énergique, puissant, il se révèle aussi inventif dans sa manière de traiter son histoire et son contexte finalement plus politique qu’historique. ; mais surtout profondément intime, restant toujours à hauteur de ses personnages, pour leur bonheur à leur malheur. Et je me rend compte que je n’ai pas parlé des acteurs, mais là c’est pas loin de l’évidence pour moi, ils sont tous excellents.



Malgré une narration en demi teinte quand à ce double point de vue et une énorme quantité de thèmes qui bourrent le film, L’enlèvement reste un excellent métrage, qui ne renouvelle pas le genre du film historique, mais qui le sublime par son inventivité, et surtout sa vigueur. Donnant à voir des visuels forts et une mise en scène impactante, Marco Bellocchio revient avec une fresque intime par moment bouleversantes ou alors galvanisante, le genre de film populaire mais pourtant complexe, révélant une histoire injustement peu narrée qui ne laissera pas indifférent.

Vacherin Prod

Écrit par

Critique lue 338 fois

7

D'autres avis sur L'Enlèvement

L'Enlèvement
Procol-Harum
8

L’obscurantisme, une nouvelle foi

Rares sont les cinéastes à avoir aussi souvent exploré, étudié, interrogé, de film en film, l’histoire de son propre pays que Marco Bellocchio : après l’évocation du fascisme (Les Poings dans les...

le 4 nov. 2023

37 j'aime

L'Enlèvement
Plume231
5

La Tragédie d'un pape ridicule !

Je ne vais pas vous rappeler les circonstances de l'affaire Mortara. Le rôle désastreux de l'Église catholique et de Sa Saloperie Pie IX lui-même, pape qui détient le record du plus long pontificat...

le 18 nov. 2023

19 j'aime

9

L'Enlèvement
Fleming
9

Une histoire déchirante, un grand film baroque, du grand cinéma

Je ne suis pas sûr d'avoir bien et tout compris, mais j'ai beaucoup aimé le film et j'y retournerai. L'histoire mise en scène se déroule sur près de vingt-cinq ans, à Bologne et à Rome, dans les...

le 14 déc. 2023

16 j'aime

7

Du même critique

Moi capitaine
VacherinProd
7

De l'autre côté de la méditerranée

Reparti applaudi du dernier festival de Venise, le grand Matteo Garrone est de retour sur un tout aussi grand écran. Auteur de films aussi rudes que poétiques, des mélanges des deux parfois pour ne...

le 4 janv. 2024

27 j'aime

La Bête
VacherinProd
10

It's only Her end of the love

J’avais exprimé avec Conann l’année dernière, à quel point il peut être ardu de parler en bon et dû forme d’un long-métrage qui m’a autant marqué au fer rouge. D’autant plus pour un metteur en scène...

le 7 févr. 2024

18 j'aime

12

Arthur, malédiction
VacherinProd
2

Maligningite

Atchoum. Il y a 3 mois de cela, on apprenait qu’en plus de son retour derrière la caméra, Luc Besson allait nous offrir un film de genre adapté de sa saga jeunesse Arthur et les Minimoys. Là, je...

le 30 juin 2022

17 j'aime

6