« Diabolo menthe »
Vert………comme l’espérance insouciante de nos années d’enfance.
Frais…… comme une matinée d’été.
Pétillant….d’un humour souvent appuyé, qui devrait peser lourd, couler le film,
mais qui par une curieuse alchimie, reste aérien, toujours en surface,
porté par le souffle d’une poésie pas toujours visible mais omniprésente,
comme un parfum, venu d’on ne sait où.
Sucré……..de bons sentiments, mais pas trop, sans être écoeurant.
Servi bien frappé, dans un verre givré……au figuré.
Une brume de folie enveloppe cette histoire simple.
Une histoire ordinaire.
Un road movie bucolique, un path movie.
Mer, campagne, la nature y tient un des rôles principaux.
L’interface où se joue le rapprochement improbable d’un jeune garçon en quête de sa mère et d’un Yakusa looser qui fait office de chaperon.
Un tendre et un dur, le plus dur des deux n’étant pas forcément, à l’arrivée, celui que l’on pense, bien sûr.
Une relation entre deux êtres que tout sépare à priori, si ce n’est qu’ils sont l’un et l’autre, à leur manière, largués par la vie.
De l’ordinaire, donc.
Mais comment faire du beau avec de l’ordinaire?
C’est là le tour de force de Takeshi Kitano.
Par quelle pirouette, sublime t-il le propos?
Par quel tour de passe-passe transmute-t-il des gags qui devraient être lourdingues, en fulgurances de tendresse où l’on a envie de rire ou-et de pleurer, quelle différence?
De bon cœur, d’un cœur d’enfant.
Comment Diable s’y prend-t-il pour changer le plomb en or?
Certes il y a quelques passages marquants, esthétiquement, dans le film.
La danse des esprits des arbres, par exemple (du surTarantino).
Cet étrange ballet aux images démultipliées et décalées, comme un écho visuel s’étendant par vagues, jusqu’à nous.
J’y vois quelque chose du « Cirque bleu » de Chagall (dont Kitano est un admirateur). On pourrait tout aussi bien, citer : « Au-dessus de la ville » ou « Le violoniste ».
La présence d’êtres ailés (jusque sur l'affiche), ou suspendus dans les airs, comme nos songes, ne doit rien au hasard. Comme Chagall, Kitano évolue dans l’univers onirique et naïf de l’enfance. Pour le peintre russe, on parle d’ailleurs, de « chromatisme onirique », ce qui me semble également définir le travail du réalisateur japonais.
Car n’oublions pas, Kitano est aussi peintre et plasticien !
Certes la narration est habilement menée et rythmée.
Pourtant il y a de l’attendu, du téléphoné, que ce soit au niveau de l’évolution de l’histoire comme des sentiments.
Cela tient du conte pour enfants.
Schéma classique : les « méchants » ou apparaissant comme tels, devenant des »gentils »
Structure classique : une situation initiale, un élément déclenchant, un problème à résoudre ou une quête avec une succession de rencontres qui font progresser les personnages, un dénouement final, heureux de préférence.
Mais alors comment Kitano, parvient-il à me ficeler à ce film?
Je suis prise dans les mailles d’un attrape-rêves.
Je suis séduite et je ne comprend pas. Est-ce cela le coup de foudre?
Il y a les histoires et la manière de les raconter
Et n’oublions pas, Kitano est aussi écrivain !
Certes, le casting et le jeu des acteurs, sert l’intention.
Un enfant touchant par son côté pataud (trop beau, il aurait été trop lisse).
Une belle interprétation de Kitano en Yakusa nigaud.
Des motards, faux durs, à la Laurel et Hardy (le vieux truc du gros et du maigre).
Mais n’oublions pas, Kitano est aussi, comédien !
Certes l’équilibre fragile, entre gravité et légèreté est tenu.
On n’est ni dans le drame, bien que le sujet s’y prête, ni dans une vraie comédie.
On flotte.
En lévitation, comme les esprits des arbres.
Là où « Very Bad Trip » par exemple, martèle le sol de ses gros godillots, « L’été de Kikujiro » fait des pointes.
Du rire mais sans gras, juste « revenu »
Il est vrai, n’oublions pas, que Kitano est aussi un comique !
Certes, il y a de la poésie.
Car ce film est un moment de grâce, une parenthèse d’enfance.
C’est le diabolo menthe siroté à la plage, la pêche magique, un-deux-trois soleil, la couleur des sentiments….excusez moi de tout livrer en vrac, mais il n’y a pas d’analyse possible, on est dans le ressenti, la corporalité, le sensitif.
Autant de mots qui m’évoquent les Haïku.
Je retrouve dans le film tout ce qui fait l’essence de ces courts poèmes.
La référence à une saison, déjà. Ici, l’été.
La simplicité.
La brièveté (le film est découpé en courtes séquences).
L’image.
La césure (référence aux écrans intermédiaires entre les différentes séquences).
Et la part belle laissée à la Nature.
Les haïku sont une ode à l’évanescence des choses (l’enfance, l’été, les sentiments..), à la fragilité, à l’insouciance.
De plus ils n’excluent pas l’humour puisqu’à l’origine ils représentaient un genre mineur, caractérisé par la légèreté et la frivolité. D’ailleurs un des homonymes du mot signifie : « amusement ».
Ah, j’allais oublier, Kitano est aussi poète !
Pourtant, tout cela ne suffit pas à expliquer la symphonie d’émotions qui nous berce.
Un ange passe, à l’image de la figurine porte-bonheur ou éloigne-malheur que le Yakusa donne à l’enfant.
Il faut en conclure que
Kitano est donc aussi magicien !
Ne faut-il pas l’être pour réunir tous ces talents?
Un, deux, trois…. « chef d’oeuvre » !
Roulent, roulent herbe et eau
dans le vent d’été tinte l’ange
pour l’enfant sans mère.