Cette critique n’aurait pas dû voir le jour. Je la dois à Shania Wolf, le loup de .. Paris, à défaut de Wall Street, pour coller au sujet. Aussi, en guise de clin d’œil, vais-je adopter sa démarche, progressant par étapes jusqu’à ma conclusion, ce qui reflète fidèlement mon processus de réflexion face à ce film et de plus, évoque, par une mise en abîme, les « stations », sur le chemin de croix qui mènera le personnage principal à la « crucifixion » finale.


La nativité


Je suis venue, j’ai vu, …j’ai noté.
7.
Et une œuvre de plus à rajouter en vrac dans une liste.
Mais je n’étais pas partie pour écrire sur le sujet.
Du film lui-même, je n’avais pas grand-chose à dire, d’une part parce que je n’ai pas vraiment les outils pour, et de l’autre, parce que j’avais zoomé exclusivement sur le personnage de Kerviel et le jeu halluciné et hallucinant de son interprète- dans tout le sens du terme- Arthur Dupont.
C’étaient là les deux piliers de « L’outsider » pour moi. L’énigme Kerviel et le jeu nerveux, « sur le fil », de l’acteur, qui imprime son rythme au film, à savoir une tension permanente.
J’en étais restée là, intéressée par ce héros des temps modernes, c’est-à-dire, des médias, mais seulement en tant que victime; D’un système, qui plus est d’un système que j’abhorre : celui du pouvoir et de l’argent.
J’ai toujours eu de l’inclination pour les boucs émissaires (c’est vrai j’adore les animaux). Aussi quiconque est la cible d’acharnement, lynchage médiatique ou-et mauvaise foi, il me devient inconditionnellement et aveuglément sympathique, et quelle qu’ait pu être mon opinion à son sujet préalablement.
Il faut dire que tout acharnement me paraît suspect et puis à ma décharge, je fais partie de la génération biberonnée aux Zorro, Robin des Bois et Thierry la Fronde ..
Je vous parle d’un temps que les moins de vingt (trente et même quarante) ne peuvent pas connaître…
Mais ça laisse des traces : mon côté vengeur masqué (oupas comme disait ma fille).
Bref, je ne voyais pas plus loin que la pointe de mon épée et j‘en étais là de ma non réflexion, lorsque Shania Wolf m‘annonce qu‘elle a vu récemment le film et me renvoie à sa critique quand je lui demande ses impressions.
« Icare avant la chute» a-t-elle titrée.
Bonne image ! L’ascension, au propre (dans les bâtiments de la Défense), comme au figuré, l’éblouissement à trop tutoyer le soleil, la chute.. (là aussi au propre comme au figuré, par référence au suicide qui introduit le film).
Icare, donc.
Oui, et….non.
Ce fut là, l’origine de mes interrogations et c’est ainsi que l’idée de cette critique vit le jour.


L’apparition


A lire Shania, il m’apparaît alors, que même si « L’Outsider » aurait pu s’intituler ou sous titrer : « Chronique d’une chute annoncée » (en hommage à Garcia Marquez), à aucun moment je n’ai considéré Kerviel (du moins celui du film), comme un homme à terre.
Un déchu. Un brisé. Un perdant ou un perdu.
Bien au contraire. Moi je le vois comme un héros, un gagnant au-delà des apparences et de la réalité matérielle.
Gagnant, il l’est certes parce qu’il a gagné ma tendresse et sympathie, pour les raisons énoncées plus haut, mais pas « que » ….


Gagnant parce qu’il est différent.
Kerviel, dans le film de Barratier, pour moi (délire personnel?), c’est Cyrano.
C’est le panache. La beauté, la gratuité surtout (oui ça fait bizarre dans un film sur l’argent). Et qu’importent les conséquences !
Parce que Kerviel ne joue ni pour l’argent, ni pour le pouvoir ni même la gloire.
Du moins rien ne le suggère clairement.
Le jeu pour le jeu. Pour le plaisir, la griserie. Une drogue où on s’oublie, où on oublie ses limites, les limites.
Gagner pour combler des failles que l’on sent affleurer à la surface du personnage , tout au long du film (enterrement de son père, suicide d’un voisin de galère…).
Failles vite disparues dans un ressac, ne laissant sur la grève que des traces d’arrogance (affichée), de confiance en soi (revendiquée) et toute puissance (illusoire).
Gagner pour oublier. Qui on est?
Car si le « talon » de Cyrano est son nez, le « nez » de Kerviel est son manque de confiance inné qui l‘emporte justement et paradoxalement dans les remous d‘un excès de confiance.. Il n’appartient pas à ce monde et il n’y appartiendra jamais. Il n’a pas les armes..et son « mentor » le sait quand il lui écrit : « Tu ne seras jamais un bon trader ». Ce ne sont pas ses compétences qui sont remises en question, mais sa fragilité.


Gagnant parce qu’au-delà des risques inconsidérés, il a du talent, et côté pile de la médaille, la folie qui va avec.


Et plus encore que Cyrano, alors que j’assiste, impuissante à la course folle de Kerviel, à ce stade de mes impressions, c’est à Gatsby que je pense.
Comme Jay veut être maître du passé, Jérôme se croit maître de l’avenir.
Or nous ne sommes que les serviteurs du temps.
Kerviel comme Gatsby est un enfant, il croit pouvoir caresser la lune.
Un enfant qui veut tout, qui veut trop.
Pourtant, ils sont tous deux par avance, condamnés Le milieu qui les fascine les laissera échoués sur la grève. Trop de fêlures. L’argent n’a pas d’odeur mais il a un livret de famille.
Voilà où m’avait emporté, mes réflexions.


La révélation


Mais la véritable portée (pour moi), le sens profond (devrais-je dire, non sens?) du film, c’est au fil d’une banale conversation avec Shania, qu’ils se sont incarnés devant moi. Je déplorais le fait que nous nous laissions entraîner dans ce que j’appellerai une surenchère du nombre : avoir x amis sur Facebook, ou x followers…..La quantité comme but ultime et unique, et peu importe la qualité et peu importe surtout le sens.


Et si tout était encore plus simple et grave à la fois?
Si Kerviel n’avait pas été , seulement, fasciné, envoûté par des chiffres, à ses yeux exposés, et imposés?
Je revois cet open space saturé d’écrans, la danse lumineuse et hypnotique des nombres s’enchaînant à une vitesse folle tels les flammes de l‘enfer, dans le bruit et la fureur. La tension quasi palpable, comme une chape hermétique, isolant du monde extérieur, du « vrai » monde. Cette sorte d’état de transe….
Et si Kerviel n’était attiré ni par l’argent, ni par le pouvoir ou la gloire, ni par le jeu? Juste fasciné par l’irrésistible et régulière progression des nombres, tel un pendule qui se serait emballé, agissant à la manière d’images subliminales.
Sans même y mettre de sens. Des chiffres désincarnés. Des chiffres qui auraient perdu leur valeur de symboles, renvoyant à une réalité concrète, pour mener leur vie propre.
Et comment pourrait-il en être autrement d’ailleurs? Au-delà d’une certaine échelle, humaine, renvoyant à notre histoire, notre vécu…, que peuvent bien signifier des nombres? Comment se représenter par exemple la distance de la Terre à la Lune, Mars, Pluton ..? Comment se représenter la quantité de grains de sable sur terre?
Je revois cette scène du film, où François Xavier Demaison, pour illustrer la « relativité d’une somme paraissant plus rondouillarde que rondelette pourtant, se place devant la paroi vitrée et représente la dite somme par une pincée de centimètres devant l’horizon. Vertige !
Notre imagination s’arrête aux confins de notre expérience qu’on le veuille où non. Quant il y a décalage, il y a dérapage.
Vertige, vertige!
Kerviel a été pris de vertige.


La damnation


J’eus confirmation de cette effrayante intuition, lorsque, faisant part à Shania de l’état de mes réflexions, elle me rétorqua (provoc? Elle qui manie si bien les mots.) :
« C’est normal, l’avenir est aux chiffres et non aux mots ! »
S’ensuivit un débat animé sur les pouvoirs respectifs des chiffres et des mots.
« Les chiffres et les lettres ! »
Je reste et veux rester persuadée que, malgré tout, malgré les apparences, les mots ont encore leur mot à dire.
Mais je suis désespérée de vivre dans un monde désincarné, le monde de l’abstraction.
Je suis désespérée de vivre dans un monde où l’on adore, telles des idoles, des signes vides de sens, des dépouilles.


Mon Dieu, faites que Dieu existe !
Nous avons vendu notre âme aux chiffres !
666?….

Catherine_Gleiz
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le 27 juin 2016

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