Boris, ex-terroriste devenu barman à l'Etoile filante, est retrouvé par un justicier. Pour lui échapper, Kayoko, la patronne du bar, et l'un de ses amis, vont lui substituer un sosie, Dom, qu'ils ont déniché par hasard dans la rue. Ledit sosie est un miséreux qui vit avec son chien au bord d'un canal. Il est divorcé de son ex épouse Fiona, devenue détective privée. Tous deux restent toutefois unis par le deuil de leur petite fille, dont ils vont fleurir la tombe chaque année. Mais cette année-là, Dom n'est pas au rendez-vous...

Dès le début, on s'interroge. Ces décors d'intérieur artificiels, ces couleurs franches, ces éléments vitage qui font douter de l'époque où se déroule le film, ces gueules cassées... est-on chez Kaurismäki ? Non, mais l'univers d'Abel & Gordon n'en est pas si éloigné. Le duo belge partage avec le cinéaste finlandais une certaine tendresse pour les gens de peu, qu'il évoque avec une ironie parfois mordante et une science consommée de l'absurde.

Jusqu'ici toutefois, Abel & Gordon se situaient plus nettement sur le terrain de l'humour que le Finlandais. On pensait aux burlesques, de Buster Keaton aux Marx Brothers, et à leurs héritiers comme Jacques Tati, Pierre Etaix ou le Suédois Roy Anderson. Rumba, mon préféré, puis L'iceberg, Paris pieds nus et dans une moindre mesure La fée regorgeaient de trouvailles savoureuses.

De ce point de vue, le dernier opus du duo est fort décevant. On rit quasiment plus au dernier Kaurismäki - qui a peut-être signé son meilleur film avec Les feuilles mortes - qu'à cette Etoile filante - le moins réussi du duo belge. La faute à bon nombre de gags poussifs (le serveur ou Kayako planqués derrière le bar, la trappe qui se soulève faisant chuter le serveur, les patchs en surnombre sur le corps) ou déjà vus dans de précédents films (les membres qui s'emmêlent dans l'habit qu'on essaie d'enfiler, la voiture dans laquelle on pénètre par la fenêtre, le dormeur tombé sur le plancher qu'on enjambe sans le remarquer). Le tout servi par la troupe habituelle du duo, ici particulièrement médiocre. Mention spéciale à Bruno Romy, dont la voix haut perchée "ne va pas du tout avec le corps", et à Philippe Martz dont les répliques sonnent souvent faux. Quant à Dominique Abel, il a toujours été un acteur correct, mais il ne devrait pas prendre des fous rires (par deux fois ici) : c'est la base du burlesque de ne surtout pas rire. Ou alors il faut le faire silencieusement, comme Harpo...

Le film n'est pas assez déjanté pour qu'on lui passe certaines invraisemblances, comme Fiona qui se réveille au cimetière sous une pluie battante (elle ne peut pas être en train de dormir alors qu'il pleut averse). On déplorera aussi quelques éléments scénaristiques insuffisamment exploités (la petite fille que Dom et Fiona ont perdue, qui semble n'être là que pour que Fiona trouve suspecte l'absence de Dom et file donc vers sa maison), voire tout à fait inutile (la cliente qui veut qu'on retrouve son chien).

C'est toujours dans le langage des corps qu'Abel & Gordon ont été à leur meilleur : le duo devrait presque faire dans le muet ! Cet opus-là ne fait pas exception. Le final rehausse ainsi nettement le film. La scène de danse est réussie (Fiona Gordon fut danseuse avant de devenir cinéaste et c'est toujours un bonheur de la voir à l'oeuvre) et plus encore le moment où les clients du bar tournent autour du tueur de plus en plus vite comme un manège pour échapper à ses tirs. Une scène digne des Marx Brothers par sa folie, tout comme l'idée du tueur au bras coincé qui s'est doté d'un rétroviseur pour voir sur qui il tire. Des pièces d'échec se mettent à danser, c'est poétique et réjouissant comme ce à quoi le duo nous avait habitués.

Leurs films ont toujours comporté une dimension politique discrète (la crise des migrants dans l'Iceberg et La fée, les affres du système scolaire dans Rumba par exemple), elle est ici un peu plus affirmée, avec bonheur : à l'hôpital, la même employée sert d'infirmière et de femme de ménage, et le brancardier des Urgences doit se débrouiller seul pour descendre l'homme qu'il est venu sauver. Boris envoyant valser le Monopoly en le traitant de jeu capitaliste est un autre message discret, en plus d'un indice sur l'identité de notre homme puisque, étant donné la période concernée par l'attentat, on devine qu'il fut fomenté par un groupe d'extrême-gauche. Boris et Kayako courant à perdre haleine dans leur lit nous mettaient déjà sur la voie. Notons d'ailleurs le raccord sur Dom courant de la même façon : lui n'est pas un coupable en fuite mais une victime qui cherche à récupérer le portefeuille qu'un jeune couple vient de lui subtiliser - une course qui, au passage, justifie le titre de ma chronique...

Des réussites telles que celle-là, le film en compte un certain nombre. Il y a la scène du miroir, qui rappelle celle des Marx Brothers de nouveau. Comme dans Soupe au canard, Boris et Dom font les mêmes gestes, comme séparés par la paroi d'un miroir, et Kayako bruite cette paroi en glissant un doigt sur une vitre. Savoureux. Kayako faisant, par deux fois, courir comme un cheval le justicier qui vient de subir un infarctus en espérant que son coeur lâche est un autre moment réjouissant. Sur fond de scie musicale, la scène de drague de Dom par Kayako baguettes en mains, qui s'achève par un long regard est aussi touchante qu'érotique (la robe rouge vif que porte en permanence Kayako indique assez bien cette fonction de "mangeuse d'hommes"). Si nos deux cinéastes humoristes s'essoufflent nettement par rapport aux feux d'artifices dont ils furent coutumiers, ils n'ont pas perdu toute leur sève. Ouf.

Mais l'ensemble reste assez fade. Possible aussi que je me lasse : je trouvais déjà La fée plus faible que les autres, alors qu'il est antérieur à Paris pieds nus, que j'ai vu en premier. Un peu le syndrome Quentin Dupieux. Certains styles enthousiasment beaucoup mais s'érodent de film en film, notamment dans l'humour. Possible. Mais le résultat est là : je voulais déplorer que le dernier opus de Dom & Fiona ne soit déjà plus visible que dans une salle à Lyon une semaine après sa sortie - et encore à 13h45. Une distribution éphémère que le titre semblait appeler ! Le constat reste affligeant, mais l'impression mitigée que laisse cette Etoile filante altère un peu l'ardeur que je voulais mettre à ma protestation.

Jduvi
7
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le 13 févr. 2024

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Jduvi

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