Je suis vraiment impressionné par De Oliveira. Je trouve ça incroyable d'arriver à 101 ans avec un film d'une telle simplicité, d'une telle fraîcheur et malice, d'apparence tout en abordant une multitude de choses plus dissimulées.
L'Etrange affaire Angélica est une sorte de conte onirique qui rappelle à première vue Laura le beau film de Preminger. Un homme tombe amoureux d'une femme morte, ou plus exactement de l'image d'une femme morte : un portrait chez Preminger, une photo chez De Oliveira. A travers cela, le portugais nous parle de la mort, de sa façon de percevoir cette ultime étape, cette confrontation qu'il conçoit désormais comme à portée de main, proche et familière. Mais jamais rien de pesant ni de morbide dans cette conception. Quelque chose de l'ordre de l'apaisement, de serein, de lumineux.

L'image du film c'est celle de cette très belle et jeune femme qui reprend vie sous l'objectif d'un appareil photo. Une multitude de regards se croisent et se recroisent à partir de cette image. Il y l'apparence de cette femme, jeune, belle, éclairée, sereine. Cette apparence pourrait être celle de la mort selon De Oliveira. Dès lors, Isaac pourrait être l'incarnation à l'écran du cinéaste. Ce dernière, derrière l'outil qu'est la caméra/l'appareil photo, capturerait sa propre mort. Une mort qui ne reprendrait vie que par l'intermédiaire de cet objet.
Et c'est là que ça devient beaucoup plus profond et émouvant, car le film est bel et bien le cheminement d'un homme obnubilé par un destin qu'il sait proche et qui le hante.
Mais ce geste de l'animation d'un être figé peut également se voir comme une conception du cinéma. Toujours cette étroite relation entre la vie et le cinéma, le réel et l'imaginaire. Là encore une obsession de cinéaste, celle de voir naître la vie derrière un objectif. D'éclairer un plan et de parvenir à atteindre quelque chose qui serait supérieur au réel.
La place de l'éclairage est également très présente ici. Là encore symboliquement dans l'idée de vie et de mort, et matérialisée à l'écran avec une juxtaposition et une alternance très réfléchie de l'obscur et du lumineux, la gestion du cadre est ainsi fabuleuse.
Là encore on peut évoquer un plan très symptomatique, celui à la fois drôle, impromptu et très pertinent montrant Isaac, lors de la séance photo, remplacer l'ampoule qui éclaire la pièce et le cadavre. Le coté à la fois technique et magique du cinéma, l'approche de la mort, de la vie, tout est dit dans ce plan génial. Plan qui évoque aussi peut être le cycle jeunesse, vieillesse qui traverse le film. On remplace une ampoule usée par une autre neuve et beaucoup plus intense.
Un coté ancestral que De Oliveira semble privilégier pour mieux en traduire la force et la beauté. L'activité préférée d'Isaac est celle de photographier des ouvriers viticoles, des bêcheurs qui travaillent la terre en chantant. Un travail justifié et qui ne peut s'élaborer différemment à cause des contraintes du lieu : le relief, le sol. L'appareil photo d'Isaac n'a lui non plus rien de moderne. J'aime tout ce que cela traduit, le rapport de l'ancien et du moderne, du vieux et du jeune. Ca nous renvoie à l'image fondatrice, celle d'une jeunesse morte qui ne reprend vie qu'à travers le filtre de la vieillesse.
Teklow13
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le 13 févr. 2012

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