Fincher et le ton. Décryptage sans prétention.

Il y a beaucoup de similitudes avec Forrest Gump, et on peut facilement supposer que le but recherché est similaire : décrire la vie exceptionnelle d'un personnage fictif touchant qui reflète l'image de son époque sur une longue période, avec une romance difficile. Il s'agit donc surtout d'émouvoir, alors pourquoi ça ne marche pas (très bien) ici?

Pour moi ça réside dans le ton du film, à savoir l'harmonie entre la photo, le rythme, la musique, la profondeur de l'histoire et les performances d'acteurs.

• Pour la photo, c'est la même que pour tous les autres Fincher récents. C'est stylisé, bien propre, millimétré, ce qui donne une impression d'univers irréel souvent idyllique. Bien sûr ça colle aux évènements tirés du journal et racontés par la fille, et on pourrait penser qu'ils nous sont contés à travers son prisme. Sauf que premièrement, il y a d'autres séquences dans le film qui décrivent des flashbacks, avec de gros effets "rétro" pour bien marquer les différences d'époques (l'intention est donc claire), et deuxièmement, les séquences non-racontées ont aussi la photo Fincher "de base" (voir la séquence de fin). Mais la photo Fincher, c'est souvent sombre, sépia/ocre/rouille ou camaïeu de bleus glaciaux, avec des lumières bien esthétisées. Et si ça fonctionne très bien pour les thrillers, c'est beaucoup moins efficace pour les romances et les belles histoires tire-larmes de type Forrest Gump, qui ont plutôt tendance à braquer les halogènes sur les acteurs pour qu'on profite de leur jeu. Peu importe que les salons soient magnifiquement agencés ou que la peinture des murs soit minutieusement décrépie, ce sont les personnages qui émeuvent.
• Pour le rythme, c'est tout simplement lent. Je ne vais pas dresser de parallèles avec l'histoire axée sur le thème du temps, mais la narration de Brad Pitt est lente, les personnages sont lents, l'histoire se déroule lentement. Au niveau efficacité, ça empêche par exemple l'effet "montagnes-russes émotionnelles" qu'on peut retrouver dans un Forrest Gump. A comparer aussi avec un Jeunet (Un long dimanche de fiançailles par exemple) pour voir ce qu'on peut compiler comme évènements avec un montage habile, en conservant à la fois les temps morts et l'intérêt du spectateur.
• Pour la musique, je pense que c'est vraiment la clé pour la réussite des séquences tragiques/émotionnelles du genre. Et là, malheureusement je ne trouve pas les morceaux assez marquants. Je n'ai d'ailleurs pas souvenir que les thèmes originaux ait été un point fort dans un seul Fincher. Dans l'ensemble c'est sympathique mais sans plus, donc insuffisant.
• Pour l'histoire, (je ne connais pas le livre) c'est assez intriguant et prometteur sur le papier, mais pour une telle période de temps j'ai l'impression qu'il ne se passe pas tant de choses intéressantes que ça. Malheureusement de nombreuses séquences ne sont vraiment pas passionnantes.
• Pour les performances d'acteurs, gros point noir pour moi. Brad Pitt est fade du début à la fin, Kate Blanchett à peu près pareil, les seconds rôles sont souvent caricaturaux et parfois en surjeu. C'est vraiment un casting typiquement Fincher, mais catastrophique à mon sens si le but premier est d'émouvoir. Mention spéciale à l'affiche du film : le degré zéro de l'investissement émotionnel, la définition du quelconque.

Conclusion simple : Fincher est très doué pour concevoir des thrillers. Mais il a conservé toutes ses habitudes de réalisation au service d'un genre et d'une histoire qui nécessitait (toujours à mon sens) un traitement bien différent _une adaptation_, afin de fonctionner pleinement.

Je précise que je n'ai pas encore vu Mank.

Fincher n'est-il simplement pas fait pour le mélodrame? Peut-être. En tout cas il a tenté le coup, et visiblement il a eu pas mal de succès, alors j'espère qu'il réitèrera.