Au cours des 70’s, Richard Fleischer, cinéaste de commande esthète et aventureux, entreprend, dans une phase solitaire de sa carrière, une exploration démente, romanesque et grotesque des entrailles du Mal, le tout au sein d’un soudain torrent d’œuvres véhémentes, violentes et perverses, dont notamment les suintants chefs-d’œuvre que sont « Les Flics ne dorment pas la nuit » (1972) et « Mandingo » (1975). Non content d’avoir déjà réalisé « Compulsion » (1959) et « L’Étrangleur de Boston » (1968), le cinéaste se paye, en 1971, le luxe de revenir aux psychopathes avec « 10 Rillington Place » (littéralement traduit « L’Étrangleur de la Place Rillington » dans nos contrés), geste cinématographique suffocant à bien des égards : mis à part au générique, aucune musique ne viendra perturber cette glauque cavalcade dans l’enfer moral, renforcée par l’authenticité des acteurs (casting d’une imparable méticulosité) et des dialogues au cordeau. Le fait est que « Rillington Place » n’est pas simplement un film de psychopathe, mais aussi une étude psychologique et sociologique autant dense que limpide, montrant aussi bien le tueur et ses actes monstrueux qu’une société (et une justice) se laissant manipuler par ses stéréotypes, envoyant à la corde les humbles illettrés sans même les regarder (c’est d’ailleurs l’affaire traitée ici qui mettra fin à la peine de mort au Royaume-Unis).


Au-delà de la finesse de l’analyse sociale, ce qui frappe c’est avant tout cette minutie, cet attrait particulièrement fertile que Fleischer semble accorder à la cruauté dans toute sa splendeur. « Rillington Place » n’est pas un film choquant, ni même clinique : le glauque est ici autant évident que la nature l’est dans la forêt. Là où il happe, c’est dans sa perversité, cet aspect scrutateur autour duquel se construit une mise en scène nous appelant à nous immerger (parfois avec une ironie affolante) dans le regard de Christie, le psychopathe (Richard Attenborough tabasse littéralement toute la concurrence, rhabillant jusqu’à Hannibal Lecter). Notamment, Fleischer insiste sur les mains du criminel : elles sont toujours dans le champ, lorsque Christie les met dans son dos, caresse les murs, les rampes, les cordes, les laisse trainer dans le cadre avec un flegme inhabituellement long. Cela donne un lot de scènes franchement simples, mais provocant un effet glaçant, une gestuelle relatant pleinement l’esprit calculateur et miséreux de ce personnage monumental, sans dissimuler pour autant la tristesse et le je-m’en-foutisme hantant l’existence de chaque protagoniste, dont ce couple formé par une Judy Geeson infantile et un John Hurt imberbe au sommet de son art sous la couverture d’un beauf vaniteux repeint à la bière.


Là où par le passé Fleischer composait avec des effets de style et des recherches plastiques, il travaille ici le meurtre sous un angle purement intimiste, cadrant la préméditation ainsi que chaque assassinat sans perdre une miette de leurs durées, rendant palpable le poids, l’effroi, la dérive et l’obscurité. Ainsi, « 10 Rillington Place » tétanise, via le malaise, mais aussi sa subtilité le haussant à la hauteur (et même bien plus encore) de nombre de thrillers modernes. Qui aurait cru que Richard Attenborough, avant de camper John Hammond, serait plus terrifiant que le tyrannosaure…

JoggingCapybara
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le 7 juin 2023

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