Terreur psychologique

Ce n'est pas un secret, William Peter Blatty n'a jamais apprécié l'adaptation cinématographique de son plus célèbre roman par William Friedkin et encore moins le délire ésotérique et sensoriel de John Boorman qui illustre le très controversé Exorciste II : L'Hérétique. Son "Exorciste chapitre II" à lui s'appelle Legion et se voit édité en 1983 sous forme de best-seller. Sept ans plus tard, le romancier l'adapte pour le grand écran après avoir essuyé les refus de Friedkin (avec qui il est foncièrement fâché à ce moment-là) et de John Carpenter pour le mettre en scène.

Afin de poursuivre le récit comme Blatty l'entend, exit le personnage de Regan MacNeil hantée par le démon Pazuzu. C'est le lieutenant Kinderman, qui enquêtait sur la mystérieuse défenestration de Burke Dennings dans le film original, qui devient le personnage central. Son interprète d'origine ayant rendu l'âme, le choix se porte sur l'imposant et excellent George C. Scott qui avait déjà touché à la démonologie dans The Changeling. Kinderman enquête désormais sur des meurtres prenant pour cadre la communauté jésuite de Georgetown. Enfant décapité sur un quai, prêtre massacré dans son confessionnal : Kinderman fait peu à peu le rapprochement avec l'affaire dont il s'était occupé 15 ans plus tôt. Il constate également que tous les meurtres ressemblent étrangement à d'autres évènements sanglants survenus à la même époque et dont le responsable a été condamné à mort par la justice. C'est entre les murs d'un hôpital psychiatrique que le policier découvrira la source du Mal qui prend les traits du père Damien Karras, l'ecclésiastique avec qui Kinderman sympathisa durant l'affaire Regan et qui trouva la mort en exorcisant cette dernière...

Avec L'Exorciste : La Suite, Blatty expose lentement sa propre définition de la terreur telle qu'elle est décrite dans son livre. Ici, pas de fillette possédée, de masturbation avec un crucifix, de vomi verdâtre ou de tête pivotante, mais une atmosphère suffocante d'indolence silencieuse doublé d'ombres et de craquements dans l'obscurité. Un climat où Blatty réussit à 3 ou 4 reprises à véritablement procurer la chair de poule, sensation devenue extrêmement rare en ces temps de jump scares aussi mécaniques que répétitifs. Et puis patatrac, L'Exorciste : La Suite sombre brusquement dans la parodie la plus facile pour son final avec un déferlement de scènes horrifiques dénaturant totalement l'atmosphère précédemment alloué au métrage. Le grand-guignol s'impose suite à une exigence du studio qui juge le film terriblement ennuyeux. À l'origine, le combat qui oppose Kinderman au Mal était purement psychologique et viscéral. Simplement deux excellents comédiens (George C. Scott et Brad Dourif) face à face dans un faisceau de lumière. Pas d'exorcisme, d'apparition de damnés au milieu des flammes ou de mort sanguinolente d'un prêtre collé au plafond... que rien ne justifie par ailleurs. Quatre millions de $ ont été ajoutés au budget initial pour une débauche d'effets visuels que Blatty a intégré à contrecœur dans une œuvre désormais haute en couleurs.

Ce n'est qu'en 2016 que l'équipe de Shout! Factory, dans le cadre d'une édition en Blu-ray de L'Exorciste : La Suite, retrouve des éléments vidéo épars qui, reconstitués, peuvent restituer la vision d'origine voulue par Blatty. Avec l'appui de ce dernier, un nouveau montage voit le jour et offre un director's cut dispensé du ridicule superflu exigé par le studio 26 ans plus tôt. Composite d'éléments HD, SD ou issu de VHS dont le matériel originel a été définitivement perdu, L'Exorciste III : Legion s'affiche comme une sorte de copie de travail passionnante, minimaliste et moite. Discrète et bavarde, sombre et gothique, génératrice de terreurs que l'on pensait désuètes, Legion est tout simplement une sequel qui prend totalement le contre-pied des sequels. Un miracle.