Ces hommes, ils nous trompent, ils meurent avant nous, et nous on souffre...
Ces quelques mots martelés inlassablement par la Grand-mère annoncent clairement la couleur, L'Histoire d'une femme ne sera pas une œuvre particulièrement joyeuse, c'est le moindre que l'on puisse dire, c'est presque une prière, une liturgie destinée à chanter la femme, figure universelle de force et de courage, qui, contrairement à l'homme, ne doit pas faillir à sa tache.
Avec L'Histoire d'une femme, Naruse nous propose un film ambitieux en voulant nous montrer les différentes formes d'héroïsme pouvant être revêtu par la femme pour surmonter les difficultés de la vie, à travers son parcours dans le XXè siècle. La société change, la femme évolue mais son combat reste toujours le même. On peut reprocher à Naruse de ne montrer la femme qu'en opposition avec l'homme ; la femme devient figure de sacrifice là où l'homme brille par son absence. Car si dans le film l'homme est omniprésent, dans les discours ou les pensées, il est souvent défaillant symboliquement parlant quand il ne disparaît pas physiquement ! L'héroïsme de la femme se fait alors plus grand, lorsqu'elle doit dépasser sa simple condition pour aller sauver ce que l'homme à compromis, volontairement ou non.
Le parcours de Nobuko ressemble ainsi à un long chemin de croix durant lequel les croix à porter seront nombreuses, chaque femme pouvant ainsi, à un moment ou à un autre, s'identifier à elle. Nobuko, c'est cette jeune fille qui va perdre sa candeur et ses illusions de jeunesse en devenant une épouse ; la scène de la noce est finement représentative de ce premier sacrifice ! Puis au fil du temps son caractère s'est endurci, elle endosse avec une grande force la position de la femme trompée, trahi par son mari. Le plan où on la voit avancer, le visage fermé, à travers les rues tandis que la ville semble l'écraser et l'étouffer, est d'une terrible efficacité. Sa croix, elle la porte fermement et rien ne la fera dévier de sa route !
Elle devient mère, et son courage comme son dévouement au quotidien pour élever son enfant prend une dimension bien plus dramatique lorsqu'elle est contrainte de le voir partir au combat. Encore une perte, encore un sacrifice, encore une épreuve à franchir ! Le courage de la femme se fait d'autant plus sentir en temps de guerre que l'homme est souvent absent, mobilisé au front quand il n'est pas mort ou blessé. Pas étonnant donc que la fresque de Naruse prenne vraiment son ampleur pendant l'évocation de la Seconde Guerre mondiale ; alors que les bombes fusent, Nobuko se transcende pour survivre et protéger les siens. Au milieu des ruines, elle retrouve même l'amour et se laisse même à croire en un avenir meilleur. Et Naruse de raviver la flamme en quelques plans magnifiques, Hideko Takamine et Tatsuya Nakadai qui se retrouvent entre les ruines, c'est sobre, c'est superbe, croire malgré tout en l'homme pour toujours croire en la vie...
Icône de sacrifice et de dévouement, Nobuko devient par la force des choses la femme orgueilleuse et revancharde à qui on ne la fait pas ! Son affrontement avec sa belle-fille prend une coloration véritablement ironique, un cercle vicieux qu'il faut tenter de rompre, une malédiction qu'il faut absolument conjurer.
La mise en scène de Naruse, brillante et légère, cette narration éclatée, faite de subtils flash-back, donnent au film tout son dynamisme et sa force ; la sobriété de traitement fait que l'on ne tombe jamais dans l'outrageux. Bien sûr, on peut regretter l'accumulation de malheur qui s'abat sur la tête de la pauvre Nobuko, et là on apprécie d'autant plus la prestation d'Hideko Takamine qui transmet toujours les émotions les plus justes, les plus fortes sans tomber dans le pathos.
Ce Naruse si, est sans doute un peu plus sombre qu'a l'accoutumé mais c'est aussi l'un des plus émouvants, toujours tout en simplicité et en retenue, comme ce plan magnifique où ces deux femmes se croisent sous la pluie, faisant une sorte de passage de témoin, avant de s'enfoncer dans les rues...le combat continue, l'espoir persiste encore.