Dziga Vertov (littéralement toupie tournoyante), de son vrai nom David Abelevich Kaufman, avant-gardiste soviétique, notamment membre du Conseil des Trois (avec sa femme et son frère (l'homme à la camera du film)), dénigreur du cinéma russe et hollywoodien pour lesquels il ne mâche pas ses mots et crie à la non-originalité de ceux-ci, mais également du théâtre qu'il qualifie de contrefaçon du réel gâché/grimé par les artifices propres à cet art (décors, costumes,..) ; signe avec L'homme à la caméra un véritable matériau dont il est nécessaire d'en comprendre l'ampleur.


L'homme à la camera n'est pas un film comme les autres, il n'y point de scénario ni même d'intertitres (pourtant habituel pour les films muet), point de fil rouge ni de jeu d'acteur. Seulement une journée, le sommeil, le travail, le loisir, tout est filmé dans son entièreté la plus totale, il n'y a aucune triche, juste des personnes qui vivent. Et c'est là l'essence même du film, et de ce que Vertov a pour objectif : capter la réalité, la vraie, la naturelle, la pure.


Pour se faire, Vertov va avoir recours à, ce qu'il a lui-même crée et appelé, le ciné-œil. Notion essentielle du réalisateur, il semble important de la définir pour mieux comprendre le film. Le ciné-œil (donc la caméra en soit) c'est une possibilité de création infini, frôlant voir même égalant la perfection; c'est une vision améliorée, évoluée, perfectionnée de l’œil humain, au contraire de celui-ci il peut s'envoler, s'attacher à un cheval au galop (comme dans le film), s'accrocher à une roue d'un train (dans le film également). Il peut capter n'importe quel mouvement en réalisant n'importe quel mouvement.
Vertov disait :



Aujourd’hui, en l’an 1923, tu marches dans une rue de Chicago et je te
force à saluer le camarade Volodarski qui marche, en 1918, dans une
rue de Petrograd et ne répond pas à ton salut.



Il se détache ainsi de toute limite visuel, temporel mais aussi de l'espace, il se libère donc des limites de l'immobilité de l'humain. Contrairement au théâtre notamment, ce n'est pas au spectateur de chercher ce qu'il faut voir, l’œil du spectateur se soumet à la volonté de la caméra. En ce sens le ciné-œil crée un monde imperceptible de l’œil humain, il en devient un œil démiurgique. Il recrée la vison de l’œil humain mais plus ordonnée, avec une certaine science (notamment et principalement grâce au montage, dont je parlerai après car vital pour le film et Vertov). C'est donc un mélange entre la liberté et la perfection de la caméra et du cerveau stratège du kinok-pilote (celui qui film) et du kinok-monteur (le monteur) qui arrive a créer une dimension exclusive, unique, de toutes choses existantes, même des plus banales.


Mais ce n'est pas la seule innovation que Vertov apporte au cinéma, qu'il souhaite révolutionner. Il y a dans L'Homme à la caméra un énorme travail de montage, novateur pour son époque. Ainsi on assiste à plusieurs procédés techniques tout au long du film tel que la mise en oeuvre de la théorie des intervalles (comme le démontre la citation plus haut), la surimpression (juxtaposition de deux images, tel que l’œil sur la caméra, en l’occurrence ici pour associer l'organique au mécanique), des fondus enchaînés, des divisions d'écran (que ce soit pour montrer plusieurs actions simultanées (cours de danse par exemple) ou pour réduire l'espace (avec l'haltérophile)). Mais le réalisateur ne s'arrête pas là, il joue aussi avec la vitesse de défilement des images; en alternant ralenti, arrêt sur image, accéléré (presque toujours) et même des marches arrières. Aussi, on a droit a différents angles de prise de vue, presque banal aujourd'hui mais pourtant novateur à l'époque du film, tel que la plongée ou la contre plongée. Il y a aussi une certaine poésie du geste dans ce film, allier deux actions différentes mais avec un geste similaire (homme qui se fait raser => enchaînement sur une hache qui se fait aiguiser).


Enfin la notion de radio-oreille, introduit dans le film avec par exemple cette image de l'oreille juxtaposé avec l'objectif d'une caméra (finalement comme l’œil mais avec une oreille), qui pousse le spectateur à imaginer les sons selon ce qu'il voit. Cela traduit la direction que Vertov souhaite que le cinéma prenne, le mélange du ciné-œil et du radio-oreille qu'il souhaite tant (et qu'il appellera radio-œil). Chose sur laquelle il aura été plutôt visionnaire, puisque dans cette même période, peu de temps après L'Homme à la caméra, on assiste à la fin du cinéma muet et à l’avènement du cinéma parlant (bien que évidemment, il ne fût pas le seul investigateur de tout ceci, mais néanmoins et incontestablement un réel partisan de ce chemin que le cinéma prendra).


Ce sont tant de procédés techniques qui rendent le montage de L'Homme à la caméra un film unique et nouveau. Ceci couplé au ciné-œil font de ce film un réel matériau brut pour les films à venir, véritable source d'inspiration. On assiste donc à un véritable message d'amour et de soutien à son futur cinéma idéal. Je vous laisse avec cette citation de Vertov qui traduit toutes les phrases que vous venez de lire :



Nous avons cru de notre devoir de ne pas faire seulement des films de
grande consommation, mais aussi, de temps en temps, des films qui
produisent des films. Ces films laissent une trace aussi bien pour
nous que pour les autres. Ils sont l’indispensable gage de victoire à
venir



Note : 8/10

Wanderino
8
Écrit par

Créée

le 8 nov. 2019

Critique lue 334 fois

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