Pour critique, je comparerai la nouvelle et le film, non pas dans une relation de mieux/moins bien ou dans l'idée d'une bonne/mauvaise adaptation mais bien une comparaison neutre afin de voir ce qui, dans chaque production, est apporté ou non à la réflexion amorcée.


L'idée de base, le robot au service des humains qui devient humain, est la même. Le traitement diffère cependant sur plusieurs points avec quelques apports du film mais aussi quelques éléments occultés.
En effet, la nouvelle se centre sur l'individu d'Andrew sans les implications romantiques, l'impact de la famille est moindre dans son parcours affectif et psychologique, certaines péripéties n'ont pas lieu (comme ce voyage afin de trouver ses pairs) et le droit des robots est plus présent, en réalité ceci est même au cœur que le droit des robots dans la société. Un aspect plus communautaire, le droit des robots en général. Cependant, ce que je déplore chez I.Asimov est que le seul leitmotiv d'Andrew est de devenir humain, prônant que l'humanité est un but idéal à atteindre. Asimov est un humaniste toutefois avec une légère tendance anthropocentriste et valorisatrice de l'humanité qui personnellement me dérange, je préfère le vivant entier à l'humain. Voire le non-vivant inclus.
Le film réintègre des notions d'émotions, des réflexions sur l'affection et le leitmotiv, bien que toujours dans l'idée de devenir humain, se complexifie. Il ne s'agit plus de devenir humain pour devenir humain mais pour être avec d'autres humains, des liens relationnels et affectifs se forment, suffisamment développés et importants pour bouleverser l'existence de ce robot et l'amener à devenir humain. Une réflexion, bien que restant somme toute basique, est amorcée sur la raison, le cœur, ce qui ferait ou non un humain, la nouvelle ne s'y intéressant pas. Asimov lui-même déclare que les émotions, la variable émotionnelle, n'étaient pas présentes dans ses nouvelles ou en très infime quantité. Un apport réflexif du film, qui cependant ne va pas jusqu'à affirmer le primat de l'émotion mais remet bien en question celui de la raison. L'un ne prime plus sur l'autre et les deux coexisteraient chez l'humain. Je place ici l'hypothèse parce que l'humain ne détient pas à lui seul l'irrationalité du cœur, les animaux également, ils sont primairement émotifs et instinctifs sur la raison. Je rajoute que d'avoir un être qui mêle les deux -l'humain- n'en fait pas un être « meilleur » ou de plus de valeur. Ou même supérieur.


J'en profite pour aborder la notion de supériorité et d'humanité. La question n'est pas, en tout cas ne m'intéresse pas, qu'est-ce qui fait un humain ou non, mais, avec ces humains différents, dont des humains supérieurs (simple constat, aucune notion de valeur) au niveau intellectuel notamment, les humains intellectuellement supérieurs des animaux (un fait rien de plus, n'y voir aucun implicite de valeur), que fait-on ? Ces humains sont déjà parmi les humains, ces différences d'individus sont là et posent la question de savoir que faire avec eux ? Les définitions ne doivent pas se suffire à elles-mêmes « nous avons définis l'humain » mais que fait-on avec ce qui l'est, ce qui ne l'est pas, ce qui l'est différemment. Tout l'intérêt de ce robot, plus dans la nouvelle que dans le film, qui est un humain différent. La mortalité est avancée non pas comme composante humaine, en tout cas plus comme levier social pour pouvoir affirmer l'humanité qu'autre chose. Devenir mortel n'est qu'une manière de pouvoir se déclamer humain. Une réflexion que j'ai apprécié, sur la mortalité et l'acceptation de la foule, de la majorité, pas simplement l'acceptation légale et individuelle. La cour aurait pu dire « oui » mais il fallait l'aval de la majorité derrière, or, pour des raisons philosophiques et sociales, un humain immortel ne serait pas accepté.
Et là est un point que je juge délétère, plutôt que remettre en question ceci, bouger ces frontières d'un humain différent, Andrew tente de s'intégrer. Il n'est pas inclus dans son entièreté et sa différence mais doit se changer pour s'intégrer. Dans le film ceci est plus encore flagrant que dans la nouvelle qui, comme je l'ai évoqué, parle des droits des robots entièrement robotiques.


L'histoire d'amour est ajoutée, son traitement peut ne pas plaire, je l'ai trouvé juste banal, mais apporte tout de même une facette qu'il aurait été intéressante à Asimov d'étudier. Changer pour autrui ? Ou plutôt pour soi en rapport avec autrui ? Autrement dit, afin de ne plus avoir à souffrir de la perte d'autrui, des autres aimés. Un certain égocentrisme, très naturel et non pas à bannir ou juger, qui est toutefois lié à autrui et la volonté de rester avec eux par amour pour eux. Peut-être aurait-il été encore une fois plus intéressant d'observer un individu qui tente de gagner ses droits et autrui sans se changer fondamentalement pour leur plaisir, plus une cohabitation qu'une intégration forcée. (d'un pdv politique, la nouvelle comme le film sont anti-neurodiversité... mais bon. Malencontreusement répandu.)
Autre aspect intéressant de cette histoire d'amour... L'amour entre une humaine et cette machine. D'ailleurs, je n'ai pas apprécié cette phrase d'Andrew dans le film qui déclare préférer mourir humain que vivre machine, et pourquoi pas vivre machine ? Je trouve ainsi chez Asimov bien plus intéressant Daneel Olivaw dans le cycle des robots et celui de Fondation. Je trouve même le réquisitoire du cycle des robots avec Elijah Bayley plus appréciable et intéressant sur le rapport à la machine. Passons, donc le rapport humain/non-humain. Ou plutôt humain différent, autre vivant. Une idée qu'il fallait oser aborder dans ce film, plus si jeune qui plus est, que la possibilité d'aimer un robot, et pour un robot d'aimer. (Je n'ai pas vu La forme de l'eau mais je crois que c'est aussi une idée dedans, l'amour humain/non-humain... Et selon les critiques elle me semble moins bien exécutée que dans l'Homme bicentenaire). Des individus d'intelligence proche/égale mais « d'espèces » différentes pourraient entretenir une relation (réciprocité d'actions entre au moins deux éléments, implication d'interactions) basée sur un amour, voire romantique. Et sexuelle dans ces productions... Toutefois la vision relationnelle est très anthropocentrée de nouveau, je dirais même selon la norme de relations platoniques/romantiques/sexuelles (je n'ai plus le terme exact des milieux LGBTQI+). Enfin, ceci est un aparté. Peut-être pas très clair.


En conclusion, j'ai presque plus apprécié le film dans le développement et les autres facettes mises en lumière, bien qu'il manque le droit des robots, mais la nouvelle m'a aussi plu. Je ne dirais pas que l'un est meilleur que l'autre, juste que ce sont deux productions différentes et non comparables dans un tel rapport de valeur, basées sur une même idée, l'une reprenant l'autre. Toutefois, le film est en fait basé à la fois sur le roman réécrit à partir de la nouvelle de l'homme bicentenaire, roman de Silverberg (Tout sauf un homme) et la nouvelle elle-même. Roman que je n'ai pas lu, ne l'ayant pas entre les mains... Je ne sais donc quel traitement en a fait Silverberg, il est bien possible qu'il ait introduit les émotions et les relations...


Sinon sur le film lui-même il est assez drôle (les robots asimoviens sont très autistiques quand même, de plus je suis difficile à faire rire donc c'est pas mal, même si je ne suis pas impartiale, j'aime Asimov et ce qui en découle), je n'ai pas été touchée mais je suis difficile sur ce plan devant des productions écrites/cinématographiques/artistiques, le jeu d'acteur ne m'a pas transcendée sans me marquer parce qu'il aurait été particulièrement mauvais, je l'ai trouvé assez ordinaire en fait, bien fait, sans plus, le traitement de l'histoire d'amour est banal, voire avec quelques scènes que l'on peut qualifier de « clichées », la progression d'Andrew est cependant bien opérée, le rythme assez soutenu pour maintenir mon attention (autre point très compliqué, maintenir mon attention...). La nouvelle n'est pas non plus des plus extra que j'ai pu lire de l'auteur, bien qu'elle fasse partie de ses préférées à lui... Enfin, ce film est tout de même plaisant. Et je n'ai pas cette sensation de « trop vite » ou « pas assez développé » que j'ai parfois, souvent, comme devant le Grand Meaulnes vu l'autre jour et qui m'avait déçue dans le traitement cinématographique, enchaînement trop rapide, peu creusé, univers et personnages pas suffisamment posés.

Indriya
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le 3 avr. 2018

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