La piste des néants
3ème Festival Sens Critique, 12/16 L’homme qui voulait savoir est un sympathique petit thriller hollandais qui fonctionne essentiellement sur le principe de la fausse piste. Averti par une ambiance...
le 27 juil. 2014
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Mariage de l'hyper-réalisme et du symbolisme, œuvre mystique [finalement] transparente et clinique, Spoorloos montre un atome, encaserné, sortir du chemin naturel. Il a le luxe et l'absurdité de se poser des questions et des défis aberrants selon le sens commun et n'importe quel élan vital non parasité, authentiquement libre – ou sereinement aliéné car soumis au hasard au lieu de forcer un destin inconnu. Ou mieux, au lieu de jouer le rôle de l'arbitraire – prise de pouvoir bien plus forte que la simple possession [comprise dans le lot] de quelqu'un et de son sort. L'animal humain acceptant avec flegme son dressage, y trouvant le confort et la joie douce d'enfiler un costume et un agenda structurant l'existence [avec le minimum de mises à jour nécessaires], est aussi un primitif révolté – et rationnel, donc comprenant que le meilleur cobaye, c'est les autres, pas le chercheur et observateur.
On peut prendre ce film à la façon candide où paraîtrait 'la vérité cachée derrière un masque' ; effectivement nous explorons la face sombre d'individus assez lisses ou sains si on omet l'événement et ses conséquences. Mais Spoorloos est plus juste et solide, plus résolu que cette espèce de perspective de journaliste ou de voyeur dilettante ; il donne la vérité complète et si son criminel a bien une double vie et une face sombre, s'il compartimente son existence, il y a unité. Il est 'un bon père de famille', un type cérébral, un citoyen respectable à la morale désuète ET ce prédateur expérimental avec préoccupations métaphysiques. La vérité est cachée dans un masque et le masque est l'arbitre le plus authentique possible. De même toutes les clés (du scénario et des tensions) sont livrées dans les premières minutes du film ; puis il sème, des détails à la saveur parfois surréaliste, jusqu'à une récolte qu'on devine effroyable – qui le sera.
La mise en scène rend hyper attentif, donc sensible au suspense avec cette tension entre l'appétit et l'inquiétude de poursuivre. Le spectateur est habitué à déceler l'horreur en plein jour, le [probable] tueur dans la foule, la suggestion parfaite dans une anecdote (la prof de gym livre le bon conseil condescendant venu du subconscient, la rencontre est 'spoilée' par la mésaventure et la nature du crime 'spoilée' par des confessions à la sauvette de Lemorne), la morgue ou l'amertume dans un échange voué à vite dérailler. Puis surtout la perversion d'un manège ironique de notre point de vue, utilitaire pour son organisateur ; la première séquence en famille commence de façon anodine, si bien qu'on croit retomber après l'accès de fièvre de Rex – ou régresser dans une sorte de mise en place coutumière, maladroite. Une minute plus tard on se sait témoin de préparatifs morbides (et peut-être à la marge de blagues dont l'auteur serait le principal sinon seul public – comme l'étreinte en voiture de sa fille). Pendant deux secondes la mère de famille semble sur le point de basculer ; elle choisit la complaisance – pour elle plus encore, savoir serait trop coûteux. Alors elle joue la comédie de la cécité (non la comédie de l'ignorance – c'est bien son état), accuse et peut-être espère un adultère.
Le film captive et potentiellement perturbe car il est convaincant simultanément sur des terrains contraires. Côtoyer son démon humain est effrayant. Mais c'est aussi drôle. Même agréable (contrairement aux pourritures capricieuses de Speak no evil, notre honnête homme et sociopathe à lubies inavouables peut inspirer la sympathie, devenir désirable comme camarade, collègue voire ami, sans requérir du masochisme). D'où un inconfort et une curiosité décuplées ; c'est la recette de la fascination. La tranquillité même du bonhomme, sa bonne foi partiale, son allure de Robert Hue digéré par un Benoît Poelvoorde sportif méticuleux... voilà un potentiel personnage de comédie ou de dignitaire grolandais. Or il inspire tout sauf de la moquerie, du moins pas la vraie, avec du mépris. Sauf peut-être lors de cette séquence lunaire exactement digne de Dupieux, avec notre alchimiste en séance improvisée d'étirements sur une aire d'autoroute pendant qu'il badine avec sa victime complice, exaspérée par l'imbécilité de la conversation. Le moment le plus édifiant est son argutie avec un type croisé à la buvette ; cette rigueur intellectuelle appliquée maintenant, pour si peu et avec qui s'en moque naturellement, est un régal. Il vient de rater son coup et s'en est amusé ; il se relâche, est au plus près de lui-même ; la victoire vient à lui immédiatement après la résignation, raillant tous ses efforts, confirmant que les déguisements ne font que compliquer la tâche. D'ailleurs quand il se fiche d'être à découvert (car l'enjeu est inexistant, qu'il a des actes ou fonctions pour acheter la confiance), il a ce truc de prédateur - se laisser partiellement cerner et même accuser, comme pour narguer la petite voix qui en l'autre hurlerait au loup.
Horreur introspective exemplaire (au même titre que La proie d'une ombre ou Le locataire de Polanski), Spoorloos sera une référence pour la combinaison Brun-absinthe (sombre-évasion), dans le modèle des humeurs ou ambiances que je commence à appliquer aux films après l'avoir forgé pour la musique.
https://zogarok.wordpress.com/2025/05/19/spoorloos-lhomme-qui-voulait-savoir/
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Créée
le 19 mai 2025
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3ème Festival Sens Critique, 12/16 L’homme qui voulait savoir est un sympathique petit thriller hollandais qui fonctionne essentiellement sur le principe de la fausse piste. Averti par une ambiance...
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Ce dvd Criterion est de belle facture, mais je n'ai pas pu m’empêcher de trouver tout de même curieux que cet éditeur se soit penché sur ce film, alors que tant de films visuellement plus importants...
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