L'homme sans frontière est un western expérimental sorti en 1971 après Easy Rider de Dennis Hopper. Il incarne la continuité du renouveau du cinéma américain, du ras-le-bol des histoires trop belles pour être vraies de l'Age d'Or de ce même cinéma hollywoodien. Dépassé par le succès du transgressif Easy Rider, les producteurs laissent plus de libertés à ces jeunes artistes visionnaires inspirées par la nouvelle vague française.
Peter Fonda déjà acteur du film matrice Easy Rider passe aussi derrière la caméra dans ce western crépusculaire unique à bien des niveaux. Terminé les figures légendaires sans peur et sans reproches, terminés les plans, aussi merveilleux soient-ils, du cinéma classique. Dès son ouverture, L'homme sans frontière s'ouvre sur une vision fantasmagorique de trois hommes profitant du moment présent dans un contre-jour venant éblouir la rivière où se situe l'action. Mais très vite, le corps inerte d'une jeune fille vient littéralement briser le moment. Et comme un geste symbolique, un personnage coupe sèchement le fils de pèche dans lequel ce corps mort s'est retrouvé. Dans la continuité, le plus jeune du groupe se fait tuer dans une situation confuse. La jeunesse se fait tuer deux fois, la jeunesse n'est plus en phases, comme si elle n'avait pas sa place dans un monde où les vieux dinosaures ne peuvent pas évoluer.
Ce commencement sonne comme une fin, mais cette fin sonne comme un renouveau. Une volonté de retour aux origines de personnages fuyants la monotonie d'une vie bien rangée. Peter Fonda incarne Harry Collins ce personnage désabusé, fatigué, ce personnage errant qui s'accroche à l'amitié de Arch Harris (Warren Oates) son camarde de vadrouille, son plus grand soutien. Dans ces chevauchés fantastiques, le réalisateur expérimente des idées visuelles et de montages d'une beauté singulière rare. La surimpression de plans, mêlée à des ralentis hypnotiques, des gros plans qui se mêlent aux plans larges, une musique qui raisonne, une lenteur qui immerge. Il y a comme une distorsion de l'espace et du temps dans ces images, des visions presque.
Paradoxalement, cette œuvre qui s'émancipe du classicisme hollywoodien, lui rend aussi un vibrant hommage. A l'image de La poursuite infernale de John Ford, High Noon de Fred Zinnerman, le film innove, expérimente dans la forme et dans le fond. Le propos évolue, l'homme à ses faiblesses, la femme (Verna Bloom) prend les rênes, l'enfant survit. Une beauté thématique qui n'a d'égale son parcourt visuel hors norme. A l'image de ce dialogue décisif entre les deux amis dos au plan et en contre-jour face au crépuscule. Soudain apparait dans le ciel en gros plan leurs visages superposés à leurs ombres posées comme un face à face entre ombre et lumière.
L'homme sans frontières de Peter Fonda nous transporte dans une vision du Far West singulière. Un western expérimental autant sublimé par ses réussites que ses maladresses.