Un contenu gentiment polémique, des trouvailles, un design de qualité… Du grand Wes Anderson.
En 2010, le réalisateur Wes Anderson signait Fantastic Mr. Fox, un film de marionnettes en stop-motion. Le cinéaste texan faisait merveilleusement étalage de son sens de l’absurde, compatible avec le support et son esprit très méthodique. Deux grandes comédies plus tard (Moonrise Kingdom et The Grand Budapest Hotel), le revoici aux commandes d’un film d’animation bien frappé utilisant la même recette et qui s’intitule L’Ile Aux Chiens.
Synopsis :
“ En raison d’une épidémie de grippe canine, le maire de Megasaki ordonne la mise en quarantaine de tous les chiens de la ville, envoyés sur une île qui devient alors l’Ile aux Chiens. Le jeune Atari, 12 ans, vole un avion et se rend sur l’île pour rechercher son fidèle compagnon, Spots. Aidé par une bande de cinq chiens intrépides et attachants, il découvre une conspiration qui menace la ville. “
Un travail d’orfèvre :
L’île aux chiens est un objet cinématographique original, avec un long métrage tout en stop-motion. Cet écrin luxueux, ouvragé et atypique, souligne et sublime l’excentricité du cinéaste, mais aussi son audace. Les cadres et les compositions sont tellement travaillées que chaque plan semble être une œuvre d’art. A sa manière, Wes Anderson et son équipe récréent l’histoire des hommes jusque dans leurs origines : la séquence d’ouverture s’inspire notamment des travaux de Jérôme Bosch, et plus précisément de sa fameuse peinture à huile Le Jardin des Délices. Le cinéaste réécrit donc l’histoire des hommes en la replaçant par celle des chiens, et s’érige ainsi en véritable esthète et symboliste, éparpillant ses symboles comme autant de bijoux qu’on s’empresse de trouver, et de contempler. Ce travail absolument titanesque est sublimé par la photographie lustrée, lissée qui donne corps aux pelages satinés de ces chiens qu’on adore : fruit du travail de Tristan Oliver, le chef-opérateur, qui donne vie à ces chiens parlants, et les rend limite palpables. Cette vie qui s'incarne aussi à travers la parfaite interprétation des comédiens, parmi lesquels nous retrouvons (dans la version originale) Bryan Cranston dans le rôle de Chief, Bill Murray (Boss), ou encore Edward Norton (Rex).
Des visages et des langages :
Wes Anderson étudie le rapport à l’Autre par le biais de la philologie. Le don de la parole provoque un renversement des valeurs : ici, les humains n’ont plus leur humanité, contrairement aux chiens, qui arrivent, malgré des conditions de vie difficiles sur l’île poubelle, à vivre en communauté. Grâce au langage, Chief, Atari, Rex, King et Boss expriment plus de nuances et de profondeur que leurs confrères humains. Le film est une aventure de bande, qui dans ses hommages au cinéma gangster résonne avec Reservoir Dogs de Quentin Tarantino, car oui, chaque toutou a son « blaze », et ces derniers, bien qu’attendrissants, ne se privent pas de montrer les crocs pour se défendre. L’île aux chiens est une œuvre parsemée de visages, d’expressions patentes confinant à la comédie burlesque (de nombreux allers-retours sur les visages des chiens donnant un aspect anthropomorphique) qu’on en oublie, au fur et à mesure, la race à laquelle ils appartiennent. Ainsi le cinéaste déploie une merveilleuse ode à la tolérance puisant sa sève dans les plaidoyers de la défense animalière.
Lettre d’amour dédiée au Japon :
Ce long métrage est absolument une intense lettre d’amour à la culture japonaise, qui abonde de détails et d’hommages très bien pensés. Par conséquent il est regrettable d’observer de nombreuses critiques s’ériger contre le parti pris du cinéaste et de sa représentation du Japon, certains parlent d’un « stéréotype racial », du fait que les japonais dépeints ne cessent d’hausser la voix. Il ne s’agit pas d’une caricature grossière, puisque le cinéaste ne se limite pas aux japonais et accentue tous les idiomes de langage et les expressions, ornant son œuvre de ce côté si décalé et rafraichissant. Le réalisateur américain va encore plus loin, et ne manque pas de diffuser ça et là son amour pour le pays du soleil levant : d’abord sur le plan pictural, certaines séquences étant de véritables peintures (au lavis), et la peinture de lettrés (style de peinture d’origine chinoise, reprise ensuite par les japonais), dont s’inspire une fois de plus le cinéaste pour ses compositions, à travers de magnifiques estampes japonaises (sans oublier les haïkus). Si la dystopie a lieu dans la ville japonaise de Megasaki, bien qu’elle puisse faire référence à Nagasaki (ainsi qu’aux bombardements). Elle pourrait tout aussi bien avoir lieu ailleurs, étant donné que cette fable animalière cynique est éminemment politique, dénonce aussi bien les flux de migrations forcés que les sociétés totalitaires, et que les problèmes environnementaux qui fourmillent de par le monde.
Léo Jacquet
https://lecoincritique.wordpress.com/2018/06/19/lile-aux-chiens/
4