Il y a fort à parier que lorsque Fritz Lang a débarqué aux États-Unis, il était plein d’illusions, heureux de tourner le dos à l’Allemagne nazie et à ses horreurs. Idéalistes, ses premiers films américains sont des films sociaux et engagés, éloignés de ses dernières réalisations allemandes profondément allégoriques. Vingt ans plus tard, quand il referme le chapitre hollywoodien avec le diptyque formé par La Cinquième victime et L’Invraisemblable vérité, on voit bien l’œuvre d’un cinéaste désabusé qui ne semble plus beaucoup croire en l’être humain. Son dernier film américain est certainement le plus noir sur la nature humaine. Tous les personnages qui le peuplent sont animés par des idées retorses et personnelles qui n’ont absolument rien à voir avec celles de la justice qu’ils s’époumonent à dire défendre. À ceux qui ont vu dans ce film une charge contre la peine de mort, on peut plutôt penser qu’il s’agit plus simplement d’une charge contre la nature humaine.


Construit avec une profonde intelligence, ce récit d’une sécheresse qui dénote vraiment dans la carrière de Fritz Lang. Pas d’allégorie ici, pas de fioriture, pas de recherche formelle précise, si ce n’est la volonté de nous trimballer en usant de points de vue qui servent son discours. Car au-delà de l’intrigue elle-même qui s’amuse à nous duper, c’est Fritz Lang lui-même qui nous dupe par ses partis-pris discrets mais d’une redoutable efficacité. Ce cinéma qui annonce, en quelque sorte, le cinéma des années 70 avec ses manipulations et ses spectateurs rendus paranoïaques est déjà là. Contrairement à ce qu’on a pu souvent dire et penser, Fritz Lang ne marche jamais dans les pas d’Alfred Hitchcock. Quand le second nous mène par le bout du nez pour nous raconter une histoire, le premier nous balade pour nous dire quelque chose.


S’il est très bavard et parfois trop didactique, L’Invraisemblable vérité est un film intelligent qui interroge aussi bien l’être humain que le cinéma lui-même. Le spectateur sort de là un peu essoré et déshabillé de ses convictions (et peut-être même de celles qui concernent la peine de mort qui est le faux sujet principal de cette histoire). La démonstration est certes un peu lourdement appuyée mais elle est terriblement efficace. Et Dana Andrews, dans un rôle ambigüe est, une nouvelle fois, parfait.


7,5

Play-It-Again-Seb
7

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le 23 janv. 2024

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