L’ODYSSÉE (15,2) (Jérôme Salle, FRA, 2016, 122min) :


Ce biopic aventureux, ambitieux et inattendu raconte le destin du célèbre commandant Jacques-Yves Cousteau et de sa famille sur plus de trente ans à partir de 1948 où le perfectionnement de son invention du scaphandre autonome lui permet d’envisager d’explorer un nouveau monde sous-marin. Le réalisateur Jerome Salle, auteur notamment des deux films d’action Largo Winch 1 & 2 (2008 et 2011) et plus récemment de l’excellent thriller Zulu en 2013, revient en s’attaquant à la figure emblématique au bonnet rouge. Il s’appuie sur le remarquable livre mémoires : Capitaine de la Calypso publié en 1990 et rédigé par Hubert Falco (dit Bebert ou surnommé le plus dauphin des hommes) et l’immense Yves Paccalet (écrivain, philosophe et naturaliste). De manière surprenante le début du film axe directement sa caméra sur le drame survenu par Philippe Cousteau par le biais d’un cauchemar revécu par un Jacques-Yves Cousteau endormi. Nous comprenons vite par la suite, que l’axe du long métrage ne sera pas uniquement fixé sur « le Pacha » (titre donné par la presse au commandant académicien français) mais sur la dynastie Cousteau ! Après un début de film assez scolaire, le réalisateur nous plonge vite dans l’aventure aquatique avec des premières scènes sous-marine bluffantes par ses couleurs et par leurs beautés visuelles. La mise en scène solaire nous plonge avec alternance dans le récit épique et visionnaire de cet ancien officier de la Marine nationale, et les moments intimes plus délicats au niveau du relationnel avec ses fils et les zones d’ombres de cet homme attiré par la lumière. Le réalisateur noie l’hagiographie pour dépeindre avec sincérité l’évolution de l’homme avec le fol espoir, encouragé par sa femme Simone, d’acquérir un vieux rafiot pour le réhabiliter afin de devenir le fameux bateau : La Calypso afin d’explorer le globe et des nouveaux territoires marins jamais explorés auparavant. La narration met en lumière de manière judicieuse ce personnage à l’amer, qui ne savait pas aimer ses fils (mais séducteur de femmes invétéré). Le récit se concentre plus particulièrement sur sa relation conflictuelle avec Philippe, le cadet voyant gamin son père comme un héros, et découvrant petit à petit les nombreuses dérives de son père plus attiré par les médias et son succès personnel que par la défense réelle du monde aquatique. Recontextualisant l’époque où l’écologie n’était pas encore une préoccupation majeure, le metteur en scène nous dévoile l’homme construisant un empire, le communicant hors pair pour convaincre les médias et le désastre financier des multiples projets par le biais de reconstitutions soignées. Ce parti pris de l’auteur axant son biopic sous l’angle de la tragédie familiale occulte un peu trop toutes les avancées technologiques (aucune scène où l’on voit les diverses constructions d’engins sous-marins etc) dont le commandant fut l’initiateur et qui ont permis au monde entier de découvrir un nouveau monde malgré des erreurs écologiques impensables aujourd’hui. Ce montage inégal s’attarde néanmoins sur des épisodes plus anecdotiques au profit d’autres qu’il aurait été plus intéressant à voir, mais cela n’entache en rien le bonheur de certaines scènes absolument sublimes quand la caméra suit les plongées homériques (au milieu des requins tigres, au plus près d’une baleine à bosses ou sous la mer glacée de l’antarctique) pour de somptueux ballets aquatique. Le scénario décline chaque épisode avec élégance, et démontre de façon touchante l’impact de Philippe sur la soudaine conscience écologique de son père qui prendra son bâton de pèlerin pour être l’un des premiers à alerter le monde de la dégradation de l’environnement, obtenant même un moratoire à l’ONU pour l’interdiction d’exploiter les ressources de l’antarctique jusqu’en 2048. Ce récit sans phare, repose sur un trio d’acteurs totalement habités par leurs rôles, Lambert Wilson livre une composition étonnante, antipathique et juste sans déboulonner la statue du commandeur mais en le rendant plus humain avec ces blessures, ses mystères et ses failles. Pierre Niney compose justement la tête brûlée idéaliste en fils cadet aux relations ambivalentes contre ou avec son père, et Audrey Tautou campant remarquablement Simone « la bergère » femme forte, dévouée et aventurière vivant souvent seule avec « ses hommes » sur La calypso, délaissée par son mari. Une grande épopée instructive comme le cinéma n’en fait plus trop, magnifiée par la partition musicale originale inspirée d’Alexandre Desplat. Venez plonger dans ce grand bain intelligent pour découvrir toutes les faces de l’icône dans cette délicieuse fresque : L’Odyssée. Romanesque, consciencieux, épique, émouvant et magnifique.

seb2046
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le 12 oct. 2016

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