• Revu en mars 2014 :
La force de ce film, c'est de faire valoir davantage son propos final à chaque nouveau visionnage. Entre une histoire effroyable et une irréelle, le film nous entraîne dans une aventure humaine grandiose. Visuellement sans précédent - la photo et les effets visuels sont irréprochables - et profitant d'une 3D exceptionnelle en tout point, L'Odyssée de Pi met en œuvre la grâce de ses thèmes divins en une imagerie époustouflante. Il ne s'agit pas simplement d'une croyance en Dieu ; en plus d'être naufragé et de devoir survivre miraculeusement aux éléments, Pi doit également survivre à son naufrage interne, sa foi et ses convictions, subtilement appuyées par les préceptes de la mythologie Hindoue. Quelques recherches sur l'analyse du film suffiront à vous éclairer sur la place finalement accordée à toute cette mysticité au sein de l'histoire. Il est également bon de noter l'excellente performance de Suraj Sharma qui fait ici ses premiers pas derrière une caméra, et le travail somptueux de Mychael Dana pour musicaliser l’œuvre et nous en faire ressentir toute l'émotion, la grandeur et l'élégie.

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• Critique du 30 décembre 2012 :
Alors que le premier volet de la nouvelle grande saga de Peter Jackson, Le Hobbit : Un Voyage Inattendu, accapare les salles depuis plus d'une semaine, et que je boycotte les projections non HFR du film, difficile de trouver un équivalent pour en prendre plein les mirettes en cette fin d'année. À part L'Odyssée De Pi, ce petit film indépendant qui sort malheureusement et injustement dans l'ombre de l'adaptation de Tolkien, alors qu'il répond plus que largement à tout l'engouement énoncé lors de sa campagne marketing qui le présentait comme un chef d’œuvre visuel, une réelle réinvention cinématographique, et surtout la meilleure expérience artistique qu'a pu nous offrir Ang Lee jusqu'alors. Toutes ces caractéristiques sont assouvies avec brio.

L'Odyssée De Pi met très peu de temps avant de marquer son public, et cela passe tout d'abord par un visuel absolument bluffant. Claudio Miranda, directeur de la photographie qui s'était déjà fait remarqué pour son travail méticuleux sur Benjamin Button, ou encore le plus récent Tron: Legacy, assied ici un savoir-faire hors compétition. Jamais l'occasion n'a été donnée de voir une photographie aussi puissante au service de son œuvre. Il y a bien des films qui avaient scotché dans la rigueur de cette esthétique, comme Skyfall et ses prises de vue somptueuses faisant du pied à The Dark Knight, Prometheus et ses tons austères imposants, ou encore Hugo Cabret et son univers retro-coloré fascinant, pour rester dans les pellicules de cette dernière année. Mais ce qu'a réalisé Claudio ici, c'est du pur art visuel. Chaque plan est transformé en un maelström de couleurs s'animant en des fresques divines. Les décors maritimes sont subjuguant et s'assimilent à autant de tableaux de peintres de renoms transposés à l'écran en des jeux de lumière étourdissants. Couchers de soleil, scènes sous-marines, et séquences nocturnes sont alors transcendés par cette photographie brillante, digne de résider parmi les plus belles jamais effectuées sur un film. Et je le clame haut et fort, sachant que je suis moi-même ardemment regardant envers l’apparat graphique d'un long-métrage.

En considérant cette magnificence, il devient alors aisé pour les effets visuels de s'imposer, emplis de poésie et de magie, à l'instar de cette épopée fantastique qu'accomplit le protagoniste sur son radeau. Cerné de merveilleux, les effets numériques ont alors la part belle et s'en tirent avec les éloges tant il n'était pas simple de tous les faire concorder à leur version décrite dans les pages du roman. La création digitale la plus emblématique reste sans doute celle du tigre, entièrement animé par ordinateur. Si cela se repère davantage sur les passages où le félin a son pelage mouillé, lorsqu'il est sec, son réalisme surpasse allègrement le travail déjà colossal fourni par Weta Digital sur La Planète Des Singes : Les Origines, et ce en usant de la performance capture pour mouvoir César, ce qui n'est pas du tout le cas ici où tous les mouvements ont été configurés informatiquement après l'étude de l'animal en chair et en os. Il résulte une reproduction extrêmement fidèle de mimiques naturelles du tigre, ainsi qu'un de niveau détails suffisamment élevé pour rendre l'expérience troublante. Et l'on parle ici de petits studios comme Rhythm & Hues, pour le plus connu (responsable du lion Aslan dans Narnia), qui contribuent ici à une réelle prouesse technologique et visuelle.

Tous ces éléments sont mis en exergue par la mise en scène artistique d'Ang Lee qui dévoile constamment une profondeur de champ hallucinante, bourrée de détails minutieux à en mettre plein les yeux. Ses prises de vues sont majoritairement contemplatives pour illustrer la solitude au milieu de l'océan, et supportent également très bien les passages plus dynamiques qui restent joliment cadré au milieu d'une splendeur environnementale épatante. Ainsi, la plupart des séquences illustrent un parfait abandon de la civilisation au centre d'un océan de couleurs envoûtant. Le cinéaste s'octroie même plusieurs changements du format de l'image. Initialement dans un format panoramique tout à fait standard (1,85:1), il revient, lors d'un plan aérien, à une image carrée en 4/3 (1,33:1 avec bandes noires à gauche à droite), qui donne un rendu assez proche de la couverture du livre. Certains autres passages voient une transition entre le 1,85:1 et le 2,00:1, plus large, qui permet d'accentuer l'immersion lors du retour au format de base, puisque l'image accapare alors de nouveau tout l'écran, et offre des sensations d'IMAX tant la composition à l'écran est frappante. Enfin, une autre séquence toute particulière passe en 2,35:1 (bandes noires en haut et en bas) pour permettre aux exocets de sortir du cadre de la pellicule et venir gentiment agiter leurs nageoires sous notre nez grâce à la 3D. Avoir des variations dans le format de l'image est déjà extrêmement rare en soit, mis à part les films proposant du contenu IMAX, mais en avoir autant relève de la singularité. Distrayants sans pour autant être gênants, ils sont employés comme Ang Lee a semblé bon de présenter son œuvre, jouant avec les bordures de l'écran comme il le souhaite afin d'amplifier la puissance de son épopée, de la meilleure des manières.

Pour dégrossir ces éloges sur la forme, on pourrait dire que L'Odyssée De Pi reprend la part un peu mystique et bioluminescente d'Avatar, tout comme le film emploie des jeux de couleurs atypiques forçant sur les tons vifs pour créer des tableaux animés, à la manière d'un The Fall. Ajoutez-y une pincée de The Tree Of Life pour tout ce qui concerne le divin et les scènes de contemplation de la Nature en corrélation, ainsi que la simplicité poétique d'un Océans ou Un Jour Sur Terre pour ce qui est des nombreux plans animaliers, qui sont loin d'entacher le caractère principal du film ; et vous obtiendrez un portrait assez ressemblant du long-métrage d'Ang Lee qui demeure une œuvre d'aventure basée sur le questionnement et la foi d'un jeune garçon se battant pour survivre, en proie aux éléments et à ses convictions.

Je n'ai pas lu le livre de Yann Martel dont le récit est tiré, seulement un résumé couvrant l'ensemble de l'histoire. C'est-à-dire que j'en connaissais les axes et tournants majeurs, sans pour autant y avoir été engagé émotionnellement et intellectuellement. Deux histoires sont en fait racontées, parcourant les mêmes évènements, l'une étant plus fantastique, incroyable, tandis que l'autre se veut plus crédible, plus sombre, avec un questionnement final : laquelle préférez-vous ? Si la version papier réussissait à faire pertinemment prendre parti dans chacun des récits, le film pèche sur le second en se contentant de le narrer, sans pour autant le mettre en image. On en vient indéniablement à préférer le premier, et selon notre choix, déduction en est faite que l'on croit en Dieu. Sauf qu'il n'est pas nécessaire d'apprécier l'incompréhensible et le merveilleux pour l'assimiler au divin. Cette conclusion demeure assez réductrice au final. Le long-métrage n'en reste pas moins une magnifique odyssée, bordée de splendides visuels, d'humour subtilement inséré, et d'émotion, tout en essayant d'aiguiser la réflexion. Et même si le prologue peut accuser quelques longueurs, le développement de l'intrigue par la suite permet de justifier chacun de ses éléments comme étant nécessaires à la compréhension globale de la psychologie du protagoniste joué par Suraj Sharma.

Le jeune indien n'a aucune carrière derrière lui et a auditionné pour faire plaisir à son frère ; Ang Lee y a tout de suite vu la teneur du personnage de Pi Patel, son innocence extérieure, mais également sa force intérieure. Et cet ado de 19 ans propose une excellente performance en proie à l'océan et aux bêtes sauvages, une interprétation très juste de son alter ego fictionnel pour laquelle on a du mal à croire qu'il en est seulement à son premier coup d'essai dans le milieu. Surprenant. Le Pi Patel adulte est, quant à lui, endossé par le célèbre acteur bollywoodien Irrfan Khan, qui sert un jeu des plus réaliste, à l'instar de Rafe Spall qui campe l'Écrivain cherchant une histoire extraordinaire à écrire. Les deux adultes brillent de justesse, entre regards pensifs, réfléchis, élocution hésitante, et mimiques dubitatives ; tout semble tellement authentique que l’œuvre d'Ang Lee ne peut que gagner en qualité.

Et ce, en dépit de l'accompagnement musical qui ne figurera certainement pas parmi les meilleures bandes-son de l'année, bien qu'il soit néanmoins très pertinent et bien trouvé. Jamais pompeux, ni trop mis en avant, Mychael Danna laisse davantage la place à l'aventure filmique, pour que les spectateurs puissent créer leur propre attachement émotionnel, plutôt que d'être contraints par une structure musicale. Ainsi, la dérive sur l'océan, jonchée de séquences assez fortes, est pourtant souvent laissée au silence et bruitages ambiants naturel que le protagoniste et le tigre parviennent à combler, tout en gardant notre attention (déjà accaparée par les paysages à couper le souffle, même après une heure à ne voir que de l'eau). Les scènes plus mystiques jouissent bien entendu d'une musique plus orchestrale, plus gracieuse, plus "grande", mais point trop n'en est fait là encore. Paradoxalement, le naturel est prépondérant pour servir le propos qui est de nous faire croire à l'impensable.

[Critique 3D]
Quand cela m'est possible, je m'efforce de voir le film comme il a été conçu par son réalisateur. C'est-à-dire qu'un film tourné avec un système de caméra 3D me verra obligatoirement choisir une séance 3D pour le découvrir la première fois. Ce que j'ai tout naturellement fait pour L'Odyssée De Pi. Force est de constater que les réalisateurs avec un minimum de bouteille dans le milieu (James Cameron, Martin Scorsese, Ridley Scott) savent bien mieux se servir du procédé pour sublimer leur histoire que les petits jeunots qui misent souvent sur des projections usitées ; sans parler des conversions post-prod à bannir dans 99% des cas.

Ang Lee m'a ébahit. Loin, très loin du genre de films qu'il a l'habitude de réaliser, il montre toutefois une maîtrise totale du sujet et sait parfaitement comment le mettre en image. Mieux encore, il sait faire un usage extrêmement sensé de la 3D, qui s'avère être la plus belle jamais vue, surpassant son père fondateur (Avatar), jouant à la fois sur la profondeur, et la projection. Dans ce format, c'est à un émerveillement de chaque instant auquel on assiste, visuellement somptueux. Chaque plan, et vraiment CHAQUE, jouit de l’œil visionnaire du réalisateur pour être sublimé par cette dimension additionnelle. Même les passages de dialogues, à l'intérieur d'une maison, dans un parc, ou des séquences de vie quotidienne, profitent de la technologie et gagnent sensiblement en réalisme tant ils donnent le sentiment qu'il n'y a plus d'écran entre la scène et le spectateur, ou que l'océan menace de se déverser à chaque instant. Pour cause, j'ai quelques fois retiré les lunettes sur les plans qui semblaient les moins propices à l'utilisation du relief ; il y en avait tout de même, la profondeur de champ ayant été soignée comme rarement pour faire briller.

L'Odyssée De Pi est clairement un film où la 3D ne devrait pas être optionnelle mais imposée, à l'instar de toutes les post-prods foireuses, tant elle a été poussée à un point qu'aucun autre réalisateur n'avait réussi à atteindre jusqu'à maintenant, au service de son histoire. Et ce n'est pas faute d'en avoir déjà fait l'éloge sur Prometheus, Avatar, Titanic, Tron: Legacy - à noter que je n'ai pas encore pu visionner l'avantage du 48 FPS sur la 3D, et donc le travail de Peter Jackson pour faire évoluer le procédé. Avec cette dimension supplémentaire, Ang Lee transcende l’œuvre pour nous y plonger corps et âmes.
[Fin critique 3D]

D'une transposition initialement considérée comme impossible vis-à-vis des idées véhiculées par le roman de Yann Martel, Ang Lee est parvenu, après huit années de stagnation et galère du projet, à retranscrire, non seulement l'essence entière de l’œuvre de l'auteur, mais également une des meilleures adaptations de livre sur grand écran. À tel point que, fidèle à la richesse du récit au fil des pages, le réalisateur ne s'est pas contenté de mettre en forme un simple divertissement impersonnel, mais une véritable œuvre artistique qui reflète une myriade de pensées à travers une direction visuelle prodigieuse qui pousse la technologie dans ses derniers retranchements. Sous ses apparences d'aventure familiale, L'Odyssée De Pi s'adresse tout aussi bien à un public mature et exigeant recherchant davantage un film d'auteur, ce qu'est assurément ce long-métrage, même s'il ne s'épanche pas en dramaturgie et psychologie torturée. Pensif et serein, c'est dans cet état de réjouissance que laisse L'Odyssée De Pi après avoir fait vivre ce spectacle grandiose.
AntoineRA
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le 29 déc. 2012

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AntoineRA

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