Les premiers jours des Saints des derniers jours

Après s'être fait la main dans les années 1930 en adaptant pour le cinéma des histoires de Zane Grey, Henry Hathaway signe là son premier véritable western au format long-métrage. L'Odyssée des Mormons raconte - sans trop verser dans le prosélytisme, il faut le souligner - l'histoire de Brigham Young, successeur du prophète Joseph Smith à la tête de l'église mormone, et à travers ce personnage historique emblématique de l'histoire américaine, l'exode des premiers fidèles de l'Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours jusqu'à Salt Lake City.

Depuis la création de leur église en 1830 sur la côte est, les Mormons vivent la persécution au quotidien, ou presque. Chassés successivement de l'état de New York, de l'Ohio et du Missouri, les fidèles trouvent refuge en 1840 dans l'Illinois, où ils fondent la ville de Nauvoo et y bâtissent leur temple. Mais quatre ans plus tard, la situation se tend à nouveau, et Joseh Smith est contraint de se soumettre aux autorités civiles locales afin de calmer les ardeurs meurtrières de la foule, attisées par les édiles et notables locaux. À l'issue d'un simulacre de procès, il est conduit en prison. Pendant la nuit, une meute de citoyens armés jusqu'aux dents pénètre de force dans le bâtiment. Le prophète est abattu sans sommation, dans un bel exemple de justice populaire sommaire...

Le film commence au moment du procès de Joseph Smith, qui constitue probablement sa meilleure scène. Malgré l'intervention inopinée d'un certain Brigham Young, et sa rhétorique pleine de justesse sur la liberté de culte prévalant aux États-Unis telle qu'énoncée dans la Constitution, le jury se prononce unanimement pour la culpabilité du prévenu. On assiste ensuite à son assassinat, puis au départ précipité des Mormons de Nauvoo - qui ne tarde pas à brûler derrière eux.

Après cette bonne demi-heure pleine d'action et de grandes idées, Henry Hathaway se retrouve confronté à la difficulté de respecter les promesses faites par l'ouverture effrénée de son film. Autant le dire tout de suite : il n'y parvient pas. L'exode, en chariot, à pied et à cheval, de quelques milliers de Mormons à travers les Grandes Plaines puis les montagnes Rocheuses, n'offre que peu d'événements dramatiques susceptibles d'être exploités pour relancer l'intérêt déclinant du spectateur. Malgré la mise en scène d'une romance entre les personnages fictifs de Jonathan Kent (le plutôt fade Tyrone Power) et Zina Webb (la très mignonne Linda Darnell) afin de donner un peu de substance au scénario, qui reposerait sinon sur les seuls, authentiques mais bien trop lisses, Brigham Young (Dean Jagger), son épouse Mary Ann (Mary Astor), son lieutenant Porter Rockwell (David Carradine) et son pseudo-antagoniste Angus Duncan (Brian Donlevy), il ne se passe hélas plus grand-chose au cours de la dernière heure du film. Et même le "This is the place" prononcé par Brigham Young en découvrant le Grand Lac Salé, instant supposé solennel, voire mythique, peine à déclencher un semblant d'exaltation...

Les longs mois de voyage (de février 1846 à juillet 1847) des pionniers mormons de l'Illinois jusqu'au Grand lac salé de l'Utah sont donc rapidement expédiés sans incident notable, et le film se conclut, à la sortie du premier hiver particulièrement rigoureux passé à Salt Lake City, par le Miracle des mouettes. Selon la légende, une invasion de criquets, dévastatrice pour les récoltes à venir alors que les Mormons mouraient presque de fin, fut annihilée par une nuée providentielle de mouettes. Faut-il en déduire qu'elles furent envoyées par Dieu en réponse aux prières de Brigham Young ? À vous d'en juger ! On ressort donc de cette Odyssée des Mormons vaguement satisfait d'avoir enrichi sa culture de quelques généralités sur ces soit-disant adeptes de la polygamie (pratique en réalité abolie en 1889), mais assez déçu par la mollesse des deux derniers tiers du film.